Le patient anglais

Lentement, avec une infinie délicatesse, Angel nous ramena conte les oreilles, ma tête toujours sur son torse. Je lâchai un soupir d'aise, la chaleur de son corps si agréable qu'elle paraissait m'inviter à fermer les yeux et à me laisser aller... Je ne résistai pas : doucement, mes paupières s'abaissèrent. Malheureusement, Angel semblait avoir un tout autre programme :

― Nous ne devrions pas trop tarder, m'avertit-il. Plus vite je te soignerai, plus vite tu te porteras mieux.

― Tarder à...? questionnai-je, presque inaudible, sentant ses lèvres m'embrasser le haut de la tête.

J'avais du mal à me concentrer ; du mal à comprendre ce que nous devions faire pour me soigner : ne venais-je pas de manger ?

Sa voix, si basse, me fit réagir. Je me redressai doucement et calai Morgan contre l'oreiller. Une fois libéré, je me tournai vers lui et caressai doucement la partie droite de son visage — celle qui n'avait pas été blessée —

― Ne te rendors pas, Morgan. S'il te plait..., le suppliai-je presque en me dirigeant vers notre armoire. J"attrapai alors, sur une de mes étagères, un short et un débardeur en coton — la cicatrisation serait plus rapide si Morgan portait des fibres naturelles.

"Nous devons d'abord aller te nettoyer pour que je puisse te soigner correctement."

Parler, même dans le vent était pour moi un moyen comme un autre de le tenir un tant soit peu éveillé. Je ne m'attendais pas à ce qu'il me fasse la conversation en retour mais je comptais sur le fait que de m'entendre lui parler, l’empêcherait de sombrer à nouveau. Je me rassis sur le lit et réitérai ma caresse sur son visage.

"Il faut que tu te lèves, Morgan. Tu seras capable de marcher ? "

Je le porterai s'il fallait en arriver là. Il n'échapperait pas à la case douche...

― Mmmm..., répondis-je.

J'en étais capable, oui ― doucement, lentement...

...tout de suite...?

Ses caresses délicates mais insistantes m'incitèrent à rouvrir les yeux.

― Maintenant ? marmonnai-je.

― Maintenant, oui..., répétai-je tout aussi bas que lui. Je vais prendre soin de toi, tu sais ?

Je le savais déjà ; mais l'entendre me le dire fit fondre mon coeur. Je me redressai donc péniblement pour reposer aussitôt ma tête sur son épaule.

― Je t'aime, soufflai-je doucement.

― Moi, encore plus...

Je ne mentais pas. Aussi grand que l'amour que me portait Morgan était, il ne pouvait rivaliser avec mon amour pour lui. Je déplacerai des montagnes, décrocherai la lune ou me sacrifierai sans hésiter si cela me permettais de le guérir.

"Tu vas réussir à te lever seul ?", m'inquiétai-je.

Je n'avais pas la force de protester ― ni le désir de douter de son Amour : il m'aimait, je l'aimais, nous nous aimions. Fort. Très fort. Infiniment. Eperdument. Eternellement.

Je déposai un petit baiser sur le côté de son cou avant de me lever... et lâcher un gémissement de douleur ― mes muscles me tiraient sous l'effort, demandant que je me rallonge aussitôt.

― Ça fait mal, dis-je, essayant pourtant de combattre cette sensation de souffrance.

Je sentis mon coeur se serrer. Je me sentais si impuissant, si incapable de le soulager de sa douleur que j'en avais presque les larmes aux yeux. Je fus soudain pris d'une haine si forte envers son notaire - le seul responsable à mes yeux de cette situation - que je sentis mes poils se hérisser.

― Ce ne sera bientôt qu'un lointain souvenir..., murmurai-je contre sa tempe. Je vais prendre soin de toi et faire taire tes douleurs.

Je levai douloureusement mes bras sur ses épaules, les déposai précautionneusement pour ne pas raviver les sensations de brûlure, et me laissai fondre contre lui.

― Où veux-tu aller ? lui demandai-je de me rappeler...

...ou demandai-je tout court : je n'avais plus souvenance qu'il ait évoqué quoi que ce soit...

― Sous la douche... Il faut te nettoyer, Morgan. L'eau apaisera un peu ta douleur. Puis, nous reviendrons ici et je finirai les soins. Tu es prêt ?

― Oui, répondis-je faiblement, presque mécaniquement, sans avoir réfléchis à la question.

Aurais-je la force de rester debout dans la douche ?
Peut-être pourrais-je m'asseoir... m'accroupir...
...laisser l'eau me couler dessus... doucement... il faudrait que j'ajuste la pression...

...je fronçai les sourcils : mal à la tête ― réfléchir ne me faisait pas beaucoup de bien...

...mais pour Angel, j'irais n'importe où.

― Allons-y alors, dis-je, avant d'entraîner Morgan hors de la chambre.

Je ne précipitai pas mes pas, ne désirant pas accentuer son mal. Je le soutenais, un bras passé derrière son dos, ma main sur sa hanche. Nos pas nous rapprochant peu à peu des douches. En chemin, je lançai sans réfléchir -- seul le bien-être de Morgan m'importait :

"Un bain te serait plus salutaire. L'eau aurait un bienfait apaisant, que la douche n'aurait pas. Je pourrais aussi y ajouter des sels relaxants ou des huiles pour accélérer le processus de guérison. Il doit bien y avoir cela quelque part. Qu'en dis-tu ?"

Je me laissai faire, serrant les dents lorsque je sentais des piques de douleur me martyriser.

― Un bain, répétai-je, aimant l'idée de pouvoir m'y relaxer.

Je fermais les yeux un instant, laissant Angel me guider, son bras autour de ma hanche. J'avais confiance en lui. J'avais confiance comme jamais ― il était attentionné, si doux, si préoccupé que je ne pouvais pas éprouver la moindre panique ; je me sentais aimé.

― Oui, un bain. Nous sommes au pays de la magie et des sortilèges. Je suis sûr que l'infirmière possède des soins appropriés pour tous les maux. Je n'ai pas cherché au bon endroit, ajoutai-je en songeant à mon expédition à l'infirmerie. Elle n'avait pas été vaine, malgré tout. Je pourrais toujours passer de l'onguent sur ses blessures pour en accélérer la cicatrisation.

Encore quelques minutes et nous arrivâmes dans les vestiaires. Je n'avais jamais été dans la partie réservée aux bains et ne savais pas trop à quoi m'attendre. C'est donc curieux et quelque peu intrigué que j'ouvris la porte et en franchis le seuil tenant toujours Morgan contre moi.

' Nous devrions être tranquilles pour un moment, les élèves sont tous en cours à cette heure là", confirmai-je en lisant le tableau affiché sur le mur. Le prochain "patient" n'était pas prévu avant la fin de la journée si je lisais correctement les informations manuscrites sur l'emploi du temps.

Ne me restait plus qu'à trouver l'armoire à pharmacie...

― Ici, dis-je entre les dents, désignant le rebord de la baignoire : je voulais m'asseoir ; cette marche aux douches avaient réveillé mes douleurs et il me fallait du repos. Ce n'est pas grave pour les sels, déclarai-je.

Je pouvais me laver sans...

Je nous menai vers la baignoire et aidai Morgan a s'asseoir sur son rebord. Une fois délesté, j'ouvris les robinets, soucieux de choisir la bonne température. Ni trop chaud, ni trop froid. Tiède: le juste milieu quand on avait des blessures à vif...

― Je vais quand tacher de te trouver des sels. Ils t'aideront à guérir plus vite. Ça ou autre chose... Ne bouge pas, je t'aiderai à te déshabiller, annonçai-je en commençant à chercher l'armoire à soins autour de nous. "Si tu veux, bien sûr... que je t'aide...", ajoutai-je devant son manque de réaction.

Je ne pensais pas à autre chose que le soulager. Je me doutais bien que de lever les bras pour ôter le débardeur allait lui être douloureux ; se baisser pour son bas de pyjama, également... Je me considérai plus infirmier que petit-ami. Je n'envisageai rien de déplacé en le sachant à demi-nu devant moi. Je ne voulais que le soigner, le soulager, être là pour lui.

J'entendis Angel ; pourtant, je restais là où il m'avait assis, sans bouger. Il avait ouvert les robinets, vérifier la température, me parlais tout en cherchant les sels, les huiles, tout ce qui pourrait me guérir...

...et moi, j'étais incapable de faire quoi que ce soit. Pas même fermer les yeux ; pas même pleurer ― j'étais abattu, la douleur était de nouveau là et je voulais juste ― je voulais juste ―

― aller mieux...

Pas plus de réaction de l'intéressé. Je jetai un oeil soucieux vers Morgan et le vit qui fixait un point devant lui : le mur. M'avait-il, ne serait-ce qu'entendu ? Je fis comme si et continuai mon monologue.

― Il y a de quoi requinquer toute l'école avec ce que renferme cette armoire. Si j'avais songé à cet endroit plus tôt, je ne me serai pas risqué à aller à l'infirmerie. Par chance mon forfait resterait méconnu de tous. "Justement ce que je cherchais" déclarai-je, en attrapant une fiole de sels marins et une autre d'algues noires aux bienfaits cicatrisants.

Je revins vers la baignoire et déversai leur contenu en entier dans l'eau. Elle prit une jolie couleur bleue — de la même teinte que les prunelles de Morgan. J'y voyais là un signe de guérison accélérée. Il ne pouvait en être autrement. Je restai quelques instants hypnotisé par le liquide avant de revenir à la réalité et de m'accroupir devant Morgan.

"M... ? L'eau est prête, il faut te déshabiller. Je vais t'aider, murmurai-je. Ce ne sera pas long, je fais au plus vite. Tu peux te mordre la lèvre ou la langue ou encore l'intérieur de la joue si tu veux. Cela fera diversion à la douleur de tes bras".

Je parlais sans réfléchir. Je lâchai la première chose qui me traversait l'esprit. Je tentai de ne pas penser à sa douleur, à ses mouvements ralentis, à ses larmes que je refusai de voir — pleurait-il pour commencer ? Je n'osai relever les yeux vers son visage de peur d'y voir une souffrance que je partageai. Je devais me montrer fort. Si je flanchais, je ne l'aiderai pas à aller mieux...

Je ne revis Angel que lorsqu'il s'accroupit face à moi et qu'il m'appela tendrement par la première lettre de mon prénom : M. J'aimais lorsqu'il m'apostrophait ainsi : personne d'autre ne le faisait ; c'était son petit prénom pour nos moment câlins et complices.

― L'eau est prête, poursuivit-il, sa voix douce. Il faut te déshabiller. Je vais t'aider.

Je le sentis prendre mon bras, délicatement le soulever...

...et, encore une fois, je me laissai faire. Il y a quelques jours à peine, j'aurais été attentif, prêt à réprimer un quelconque sensation de panique menaçant de m'envahir ; aujourd'hui, je trouvais mon réconfort dans ses bras sans l'ombre d'un sentiment d'angoisse...

― Je vais devoir te redresser pour le pantalon, le prévins-je. Mêlant le geste à la parole, je saisi Morgan par les hanches et le relevai sans précipiter mon mouvement. Puis, sans réfléchir, je tirai sur le tissu et m'accroupis à nouveau pour l'aider à le retirer. Une fois en boxer, je le retournai et posai délicatement ma tête sur son épaule. Je déposai une caresse de mes lèvres sur son cou et apposai mes mains sur la ceinture de son boxer. J'attendis quelques secondes. Le temps qu'il saisisse ce que je m’apprêtai à faire. Libre à lui de refuser de se montrer nu devant moi. Je comprendrais.

Délicatement, Angel me saisit par les hanches et me força à me redresser ; je me sentis tel une poupée de chiffon, un pantin qu'il pouvait articuler à sa guise. Déjà torse nu, je me retrouvais à présent également débarrassé de bas de pyjama puis retourné vers la baignoire remplie d'une eau si bleue qu'elle ne pouvait être naturelle.

Des lèvres se posèrent sur mon cou mais, hypnotisé par l'onde, je n'y prêtai pas davantage attention qu'à la chaleur qui, pourtant, était agréable contre mon dos. Des mains glissèrent sous l'élastique de mon boxer mais s'arrêtèrent sans raison apparente alors que je m'attendais à ce que le dernier morceau d'étoffe retrouve mes vêtements.

― L'eau est bleue, constatai-je alors.

Etait-ce pour cela qu'Angel n'avait pas terminé son geste, hypnotisé lui aussi ?

― L'eau est bleue...,

Ce fut la seule réaction de Morgan. Que devais-je comprendre ? Qu'au vu de la couleur, je ne verrai pas sa nudité et par conséquent, je pouvais lui retirer son boxer ? Je pris la décision qui me sembla la plus adaptée à la situation et lui retirai son dernier vêtement.

― Tu peux entrer dans l'eau Morgan. Elle ne va pas rester tiède longtemps si tu tardes trop... Je le quittai quelques instants. Le temps de quérir une éponge naturelle. J'en avais vu des neuves dans l'armoire de toilette.

― Je n'aime pas le froid, me plaignis-je alors qu'Angel me laissait seul.

Je n'étais pas certain de désirer rentrer dans cette eau qui me paraissait tout à coup glacée et je préférais la chaleur de notre lit, blotti sous la couette.

Et puis je me sentais faible, mes forces s'amenuisant à mesure que je devais rester debout ; la tête commençait à me tourner et je songeai à me rasseoir sur le rebord de la baignoire...

Une fois retourné, je constatai que Morgan n'avait absolument pas bougé. Je m'approchai et reposai ma tête sur son épaule.

― M..., je ne peux pas te forcer à entrer dans l'eau mais sache que ce bain te guérira plus vite que tu ne le penses, murmurai-je contre son oreille.

Je refermai les paupières, pris tout à coup d'une envie irrépressible de pleurer ― j'étais mal, fatigué et j'avais froid. Je me blottis dans les bras d'Angel, prenant le temps de respirer un moment, de laisser son parfum m'apaiser ― le seul vrai remède nécessaire à mes maux. Je ne protestai toutefois pas davantage et, après une ultime bouffée, je levai péniblement la jambe.

L'eau était plus chaude que je ne l'avais pensé et, accueilli par sa douce tiédeur, je m'y glissai avec soulagement, jusqu'à y être immergé jusqu'au cou ― c'était bien plus agréable que le moelleux de notre couette, finalement. Amusant, également : mon corps avait pris une teinte azurée.

― Je suis un avatar, dis-je à Angel, tentant une plaisanterie.