Le patient anglais

Je souris devant la plaisanterie. Les sels avaient-ils un effet immédiat ou était-ce du à la dose — n'en avais-je pas trop mis d'ailleurs en songeant que j'avais quand meme vidé entièrement les deux fioles ! Rien ne me semblait démesuré dès que Morgan était en jeu. Que risquait-il au pire ? Une légère coloration bleue sur tout le corps ? Comparée à la douleur, ce n'était pas grand chose...

― J'aurais plus dis un schtroumph, surenchéris-je, sur le même ton.

Je m'accroupis et imbibai l'éponge. Une fois gonflée du liquide bleu, je la laissai ruisseler sur les épaules et le dos meurtri de Morgan, avant de la replonger dans l'eau et de recommencer sa "toilette" encore et encore.

"L'eau est à bonne température ? m'inquiétai-je soudain. Ce n'était pas le moment d’attraper un rhume.

― Elle est chaude, répondis-je, mes mains jouant avec le liquide bleu : c'était tout aussi hypnotisant de sentir l'onde glisser entre mes doigts que de contempler sa couleur ; aussi agréable que l'eau que faisait ruisseler Angel sur mes épaules.

« Elle est douce, » ajoutai-je. Grâce aux sels, certainement. En tout cas, elle ne me semblait pas ordinaire...

Morgan semblait reprendre des forces si je me fiai à son comportement.

― Ce sont des sels marins. Ils sont souvent utilisés en Bretagne. Tout comme les algues d'ailleurs. Associés, ils sont reconnus pour faire des miracles sur les grands brûlés. Comment te sens-tu, Morgan ? Est-ce qu'ils font un peu effet sur toi ou souffres-tu encore beaucoup ?

J'espérai réellement que sa douleur s'estompe car si son état n'allait pas en s'améliorant, je serais peut-être obligé d'en référer à un des adultes de l'école. Mais en qui pouvais-je avoir le plus confiance pour apporter l'aide nécessaire à Morgan ?

― Je crois que je vais mieux, dis-je en réfléchissant : la douleur me paraissait moins aigu, comme si une cloche de verre la recouvrait, l'étouffait ; je ne ressentais plus qu'une certaine fatigue me gagner petit à petit. Mes bras me semblant lourds, je les laissai retomber avant de poser la tête contre le rebord de la baignoire. Je vais mieux, répétai-je. Je suis juste... fatigué...

C'était si étrange... je somnolais presque, tout à coup... était-ce parce que j'allais me transformer en schtroumpf ?

― C'est une bonne chose alors, soupirai-je rassuré. Une très bonne chose...

Je posai mes avant-bras sur le rebord de la baignoire et y calai mon menton.

"Je te laisse encore profiter quelques instants des bienfaits de l'eau, mais ne t"endors pas, s'il te plait. Je n'ai pas encore mon brevet de secouriste, tentai-je à mon tour de plaisanter.

― Hmm..., répondis-je, sentant mes paupières lourdes. Je ne vais pas m'endormir...

Je voulais seulement... me reposer... je me sentais si las ! Et l'eau était si... agréable...

Je restai encore quelques instants à l'observer avant de me relever. Je saisi un peignoir suspendu à un des crochets et revins vers Morgan, toujours "assoupi".

― Il est l'heure de se réveiller, mon Beau au bois dormant, murmurai-je contre sa bouche avant d-y déposer un baiser.

Son baiser, chaste et tendre, m'arracha un instant au sommeil et mes lèvres esquissèrent un léger sourire.

― Je t'aime, lui dis-je amoureusement, mes yeux s'ouvrant sur ses prunelles d'or.

Qu'avais-je fait pour mérité un tel Prince Charmant ? Prince Angelus Charmant Death, me rectifiai-je. Le Prince de mon coeur.

Je levai paresseusement la tête et lui rendis son baiser chaste.

― Moi encore plus, souris-je contre ses lèvres, ne désirant pas briser la magie de l’instant. Tellement pas, que je laissai ma langue entamer un baiser plus intime. Sa caresse, emprunte de mon amour pour lui ; de ma foi en nous ; de mon désir de lui... Avant de me laisser déraper — alors que le moment n’était absolument pas propice à ce genre de pensées — je rompis le charme :

“Tu devrais, peut-être, songer à sortir...”, émis-je, paresseusement, la voix légèrement troublée.

― Ce n'est pas vrai, protestai-je mollement, le souffle coupé par ce baiser pourtant si doux... doux et profond ; doux et sensuel ; doux et Angélique : empreint de tendresse, de passion, d'Amour...

Je glissai mes bras sur ses épaules, autour de sa nuque, ma tête retrouvant le creux de son cou, sa fragrance familière aux accents de fraîcheur.

« Merci, » susurrai-je.

Merci d'être là, de prendre soin de moi, de m'aimer, d'être toi, d'être avec moi...

Merci de me prendre dans tes bras, de m'envelopper de ta chaleur, de ton Amour...

« Allons-y avant que je ne m'endorme, soupirai-je tout de même. Est-ce que tu pourrais m'aider, s'il te plaît...? »

Je ne me sentais pas la force de pouvoir me mettre sur mes deux jambes seul, enjamber le rebord de la baignoire : mon corps s'était engourdi dans le bain et une certaine faiblesse s'en était accaparé ! C'était peut-être pour cela, d'ailleurs, que la douleur s'était estompée, elle aussi rendue léthargique par l'eau bleue...

Je laissais Morgan entourer ses bras autour de moi, son corps tremper ma chemise, mais qu'importe ? Après avoir enveloppé ses épaules du peignoir, je le hissai hors de l'eau, tout en le maintenant — son équilibre semblait précaire — serré contre moi.

― Ne me remercie pas, Morgan... Je sais que tu aurais fait la même chose pour moi si les rôles avaient été inversés. Et si je ne suis pas là pour toi, à quoi je sers...? ajoutai-je.

A rien...

Mes épaules drapées d'un épais peignoir de duvet blanc, Angel me hissa précautionneusement hors de l'eau.

― Ne me remercie pas, Morgan..., protesta-il, ses bras serrés autour de mon corps encore tout mouillé, au risque de me voir m'effondrer sur le carrelage froid de la salle de bain : j'étais trop faible à présent pour me tenir debout seul. Je sais que tu aurais fait la même chose pour moi si les rôles avaient été inversés. Et si je ne suis pas là pour toi, à quoi je sers...?

A éclairer cette terre de ta beauté, répondis-je intérieurement. A quoi sert le soleil, lorsque se fanent les fleurs ? Ne restent-ils pas les arbres à réchauffer ? ...les champs de blé, de maïs et de mil ? ...les baies sauvages et les oiseaux ?

Mais parler ― rester éveillé ― devenait ardu au fil des secondes : la léthargie s'emparait à nouveau de mon esprit.

― Tu es le soleil, Angel, lâchai-je dans le creux de son cou, mes lèvres contre sa peau. Tu es le soleil...

...le soleil qui avait fait éclore le printemps dans mon coeur, qui éclairait son jardin chaque jour, qui me réchauffait de ses rayons d'or, que j'aimais éperdument !

« Moins de sel, exhalai-je faiblement. J'aurais usé de moins de sel... »

J'avais toujours du mal à accepter ce genre de compliment, alors je ne relevais pas, préférant me préoccuper de lui. Lui, qui était devenu mon soleil. Mon seul trésor. Ma raison d'être. Morgan.

― Si cela a réussi à calmer ta douleur, alors je suis content d'en avoir abusé. Je recommencerai autant de fois que nécessaire, lançai-je comme une promesse en déposant un baiser sur le sommet de sa tête.

"Laisse-moi, juste m'occuper de toi", ajoutai-je en passant ses bras dans le vêtement d'une seule main, l'autre le soutenant ― de crainte qu'il ne s'effondre d'épuisement. "Laisse-moi, te porter ; laisse-moi, prendre soin de toi ; laisse-moi, juste être là pour toi", conclus-je tout le soulevant dans mes bras.

“Je ne te lâcherais plus jamais. Tu peux t’endormir l’esprit tranquille. Je suis là...”, murmurai-je autant pour lui que pour moi-même. Sauf peut-être lorsqu’il serait habillé, pansé et sous la couette, et juste le temps de revenir ici pour nettoyer toutes traces de notre passage.

Telle une poupée de chiffon, Angel me manipula avec douceur et précaution et fit passer mes bras à travers les manches du peignoir ― à croire que j'étais réellement le petit ami le plus léger qui existe ; si léger qu'il n'avait besoin que d'un bras pour me tenir, pressé contre son corps chaud...

― Laisse-moi, juste m'occuper de toi, me disait-il. Laisse-moi, te porter ; laisse-moi, prendre soin de toi ; laisse-moi, juste être là pour toi.

Le laisser me soulever dans ses bras et me ramener à notre chambre, me déposer sur le lit avec la plus pure des délicatesses...

Je ne doutais pas pouvoir dormir l'esprit tranquille : cela faisait des semaines que je dormais avec Angel sans craindre qu'il use de sa force pour me contraindre à quoi que ce soit ; et, hier soir, c'était dans ses bras que j'étais venu me réfugier même si, dans mon sommeil, j'avais paniqué ― probablement parce que, trop honteux, je n'avais pas pris ma place ― sur son coeur ― et que je n'avais pu que cauchemarder.

― Dans tes bras..., répondis-je. Sur ton coeur.

Pour chasser tout mauvais rêve...

Après avoir déposé Morgan sur le lit et avant de répondre à ses désirs, je me débarrassai de ma chemise mouillée et de mes chaussures. Je comptais juste le laisser s'endormir. Une fois que ce serait fait, je poursuivrai les soins. Vu son état de fatigue, il ne réveillerait pas avant plusieurs heures et ne sentirait rien. C'est limite, s'il ne dormait pas déjà,, emporté dans un profond sommeil réparateur.

― A ta place, confirmai-je, en m'allongeant à ses cotés avant de, délicatement, le prendre dans mes bras et d'apposer un nouveau baiser sur le sommet de sa tête. "Fais de beaux rêves, Hummingbird" ajoutai-je en ramenant la couette sur lui.

Je sentis, sans en être complètement conscient, qu'Angel me déposait doucement sur le lit ; ma tête toucha l'oreiller, son oreiller, me sembla-t-il, encore empreint de sa fragrance. Si je fus débarrassé ou non de mon peignoir, en revanche, je ne saurais le dire : je n'étais plus qu'une marionnette, incapable, à présent, d'exprimer ma pensée ― mon esprit n'était plus que brumes, se perdant dans des méandres qui s'éloignaient de la réalité...

Puis Angel me prit dans ses bras et, enfin, je lâchai prise : au chaud, sous la couette, aimé et protégé, je pouvais me laisser aller...

J'attendis, Morgan blotti dans mes bras. J'attendis d’être sûr qu'il ne reprenne pas conscience. J'attendis de sentir son souffle d'endormi contre ma poitrine. J'attendis avant de me déloger de notre lit et de poursuivre ce que j'avais commencé. J'enfilai une chemise propre et remis mes chaussures.

Avant de finir les soins de Morgan, je quittai discrètement la chambre et repartis vers la salle des douches. Une fois sur place, je remis les fioles à leur place, vidai la baignoire de son eau bleue et la nettoyai correctement. Ne manquerait que le peignoir, mais je doutai qu'on fouille les chambres pour le récupérer. Après une dernière inspection, n'oubliant pas de ramasser les affaires de Morgan restées au sol, je refermai la porte derrière moi.

De retour dans la chambre, je me dirigeai vers le lit et vérifiai que tout allait bien. Morgan semblait si apaisé que j'avais de la peine, rien qu'en pensant devoir le bouger pour lui appliquer l'onguent et le rhabiller. Peut-être les sels avaient-ils réellement un pouvoir miraculeux ? Je restai un moment à l'observer et le laissai dormir. Si'il se réveillait, je serai là. Je ne comptai pas quitter la chambre. Juste manger un peu de soupe et écrire à Mère. Je n'avais que trop retardé l'échéance. Les jours passaient et je savais enfin les mots dont je devais user.

J'étais amoureux et l'amour était un sentiment capable de déplacer des montagnes. Morgan valait la peine que je me batte pour lui. Quitte à me mettre toute ma famille à dos ; à me faire déshériter. Mon choix était fait. Je ne le quitterai plus, ne venais-je pas de le lui promettre ? Que ce soit le temps des vacances scolaires, ni jamais....

Je trouvai les mots et cachetai la lettre qui n'attendait plus qu'à être postée. Je comptais sur Mère pour savoir lire entre les lignes et comprendre ce que je lui avouai. J'espérais réellement que son amour pour moi fasse des miracles. Avant de me laisser à supposer d'hypothétiques hypothèses, je me relevai de ma chaise et me déshabillai pour la seconde fois. Une fois en boxer, je repris ma place auprès de Morgan et reposai délicatement sa tête, à sa place, sur mon coeur.

C'était si étrange : pendant un moment, alors que mon corps était lourd de sommeil et mon esprit, incapable de former une pensée cohérente, j'eus la sensation d'être à nouveau déplacé... caresser, par moment, comme pour m'apaiser de maux imaginaires. C'était agréable. Très agréable.

J'ignore lorsque je finis réellement par sombrer, totalement. Lorsque ce fut le cas, je dormis alors ce qui me sembla être des heures et des heures et des heures... les sels qu'Angel avaient utilisés devaient y être pour quelque chose.

Je me réveillai donc à une heure incertaine, groggy, le corps comme las d'avoir trop dormi, encore incapable de bouger tant j'étais faible ― non pas que j'aurais retiré ma tête du coeur d'Angel : son doux chant résonnait à mes oreilles, si rassurant !

Le réveil fut très doux.

La journée avait filé et le temps avec...

Je ne décollai pas du lit, tout comme la tête de Morgan de sur mon coeur, de tout le temps que dura son sommeil. Seul le repos pouvait aider donc je préférais le savoir endormi à récupérer de ses blessures qu'éveillé à les subir.

Les couloirs s"étaient animés après les cours. J'avais un temps appréhendé que quelqu'un frappe à la porte mais personne ne semblait avoir remarqué notre absence. A moins que Mila est songé à prévenir son ami l'homme à tout faire ?

Je m'étais aussi laissé gagner par une sieste entrecoupée de phases de réveil trop courtes pour me donner envie de faire autre chose que de refermer les yeux. Une première, mais que faire d'autre avec son petit-ami à l'abri dans ses bras ?

Rien. Et je ne désirai rien faire d'autre qu’être à ses cotés au moment où il se réveillerait...

Je saisi à la seconde près, l'instant où il émergea enfin.

― Bon retour parmi nous, murmurai-je tout bas, au cas où il se rendormirait.

Je ne répondis pas de suite : je mis un temps avant de regagner l'usage de la parole, mon esprit s'éclaircissant lentement. Les sels devaient encore agir car je ne ressentais toujours aucune douleur...

...me faisant presque redouter le moment où leurs effets s'estomperaient : hier soir et ce matin avaient été un calvaire de souffrance et je ne voulais pas répéter l'expérience.

― Merci, soufflai-je doucement.

Pour le retour et tout le reste ― le bain, la nourriture, ses attentions ― alors qu'il ignorait encore ce qui s'était passé la veille...

...avait-il posé des questions ? Je ne me le rappelais plus... A vrai dire, les évènements de ce matin étaient très vague : à part la douleur, je ne me souvenais que de la soupe qu'il m'avait faite manger ― de force ? ― et l'eau du bain si bleue avec laquelle j'avais jouée...

« Est-ce que tu as mangé ? » me surpris-je tout à coup à demander : un autre souvenir avait refait surface et il me semblait essentiel qu'il l'eût fait...

― C'est qui, celui de nous deux, qui nécessite toutes les attentions ? Comment te sens-tu, après avoir dormi presque toute la journée ?", m'enquis-je soucieux.

― Toute la journée ? répétai-je.

Pourtant, je n'étais pas surpris : c'était la sensation que j'avais encore, mon corps las de ce long sommeil... las et incapable de se blottir davantage contre Angel ― cela commencer à me frustrer.

« Dis-moi que tu as mangé, » persistai-je à savoir : je ne voulais pas qu'il s'affame et, contrairement à moi, il avait meilleur appétit.

Après, nous pourrions parler de moi...

Je souris, amusé et ne pu m’empêcher de le taquiner :

― Je vais finir par regretter que tu te sois réveillé, si tu persistes à t'inquiéter pour mon estomac. Mais oui, j'ai mangé, de la soupe comme toi et nous en reprendrons dès que tu seras en mesure de te redresser, le prévins-je pour couper court à toute objection.

Je n'eus pas à lever les yeux pour savoir qu'Angel souriait : sa voix le trahissait et sa plaisanterie ― douteuse ! ― n'était qu'une preuve de plus !

― Je vais, moi aussi, finir par regretter de m'être réveiller si tu songes déjà à m'engrosser ! répliquai-je amusé. Il me semble que tu m'as déjà amplement gavé de soupe pour la journée...!

De toute façon, je doutais recouvrer assez de forces dans l'heure pour me redresser...

― Pas assez, au vu de la facilité avec laquelle je t'ai porté jusqu'ici, continuai-je toujours sur le même ton, ravi de le voir plaisanter — signe, je l'espérais que sa douleur n'était plus qu'un lointain souvenir.

Je caressai paresseusement sa tête, seul partie de son corps que j'osais toucher sans risquer de réveiller sa douleur. J'aurais aimé le porter tout contre moi, lui caresser le dos, les bras, sentir sa chaleur — que je devinais malgré l'épaisseur du tissus éponge.

"Comment te sens-tu, à part gavé ?" demandai-je pour la seconde fois, espérant que cette fois, il répondrait à ma question.