Le patient anglais

Je laissai Angel me porter plus que je ne m'accrochai à lui, et fus déposé dans l'eau délicieusement tiède de la baignoire.

― Merci...

Je restai toutefois le dos courbé, attendant qu'il prenne place derrière moi ; que je puisse retrouver ses bras...

― Tu me crois si je te dis que je n'ai pas pris de bain depuis des années ? lançai-je en prenant place derrière Morgan.

Je retins une grimace en sentant la température de l'eau. Je ne pouvais pas protester. Je n'en étais pas le premier bénéficiaire...!

L'amour avait vraiment le don de me faire vivre des expériences inédites auxquelles je n'aurais jamais songé avant de rencontrer Morgan.

Angel entré dans le bain, je retrouvai ses bras.

Comme pour ses nuits partagées avec un autre ― une autre ― que moi... des jours anciens... des jours très anciens... des jours qui ne comptaient pas...

― Notre premier bain... le seul qui compte...

Je soupirai... je me sentais bien... étaient-ce les sels qui agissaient déjà ?

J'attrapai l'éponge naturelle sur le rebord de la baignoire et l'imbibai d'eau, avant d'en caresser les épaules de Morgan.

― La prochaine fois, je verserai des sels moussants et des sels parfumés... La prochaine fois, tu seras en pleine forme... La prochaine fois, ce sera notre premier vrai premier bain..., énonçai-je naturellement, ne songeant pas un instant que Morgan ne désirerait pas réitérer l'expérience une fois en meilleure santé.

"Aimerais-tu un parfum particulier pour notre prochain bain ?" questionnai-je Morgan, peu sûr qu'il m'ait entendu, tant il me semblait apprécier les sels et leur effet relaxant.

La prochaine fois...

Sans doute était-ce mieux ― de faire de notre prochaine fois notre vrai premier bain...

― Herbes fraîches, répondis-je naturellement, baissant la tête pour mieux apprécier la caresse de l'eau sur mes épaules. Un brin fleuri... très légèrement vanillé...

Je soupirai d'aise ― c'était si agréable... Angel était si délicat... et les sels ― les sels avaient un délicieux effet sur mon corps affaibli : je pouvais les sentir leur magie me pénétrer et, lentement, chasser mes maux ; l'instant était parfait ― j'en oubliais ma nudité et celle d'Angel pour ne retenir que son extrême douceur...

Autre soupir : je sentais que je pourrais m'endormir ainsi alors que j'avais émergé il y a peu de mon sommeil ; était-ce les sels qui, réparant mon corps meurtri, me laissaient aussi las ? Angel souffrait-il, lui aussi, de cette envie de s'assoupir ?

Je tournai la tête pour mieux le voir par-dessus mon épaule alors qu'il faisait ruisseler l'eau chaude sur mon dos...

À question idiote, réponse idiote !

― Je nous trouverai cela, répondis-je, tout en continuant à faire ruisseller l'eau sur les épaules de Morgan.

Tant focalisé sur mon geste et la trajectoire que prenait l'eau en glissant sur sa peau, je ne vis pas de suite qu'il m'observait du coin de l'oeil.

"J'ai dis une bêtise ?" l'interrogeai-je bêtement en suspendant ma main tenant l'éponge au-dessus de son épaule.

Je vis ses lèvres bouger ; entendis des sons en sortir, et ces sons former des mots ― n’en saisis leur sens qu’une éternité plus tard, sans comprendre pourquoi il m’adressait une telle question… quelle bêtise ?

Doucement ― lentement, mon corps engourdi sous l’effet des sels ― je me retournai de moitié. Angel était si proche… ses yeux de miel aux éclats caramel m’observaient, intenses ; ses lèvres, ses belles lèvres, étaient à portée des miennes : ne me rester qu’à me pencher… Au lieu de cela, je levai une main vers elles, si roses, si charnues, faites pour embrasser, faites pour m’embrasser ― et je les effleurai, tendrement, délicatement, admirant leurs formes parfaites…

― Tu ne dis jamais de bêtises, soufflai-je au bout d’un moment.

Je posai ma tête sur cœur, mes prunelles d’eau rivées sur sa bouche que je caressai encore… elles étaient si exquises, si douces.

― Les sels…, poursuivis-je dans un soupir. Je les sens…

…je les sens quoi, précisément ? Les brumes avaient commencé leur siège dans mon esprit et, même si je n’étais pas tout à fait prêt à m’assoupir ― pas encore ―, réfléchir pouvait s’avérer ardu.

― …agir, finis-je ma phrase lorsque le mot me revint. Ne sens-tu rien…?

Ou cet effet secondaire n’apparaissait-il que lorsque les sels avaient matière pour opérer ?

Etait-ce un raisonnement plausible ?

Plus de sels, songeai-je ; je leur devais certes un rétablissement rapide mais je ne pouvais pas passer mes vacances à osciller entre rêve et réalité ― je ne pouvais pas passer mes vacances à Adsav à réclamer mon lit ! J’avais signé pour un package ― pour des randonnées à cheval, des pique-niques dans le parc, des chocolats chauds devant la cheminée ― et je préférais encore savourer ces activités avec faiblesse que toutes les manquer !

Je me blottis plus près de lui.

― Tu ne dis jamais de bêtises, contesta Morgan au bout d'un instant.

Devais-je lui rappeler certaines des paroles désobligeantes que j'avais pu dire par le passé ?

Quant aux sels...

...si, si...

Je les sentais aussi agir, les sels. Comment expliquer autrement le manque de réaction que me procuraient les caresses de Morgan ? Hors de ce bain, j'étais persuadé que mes pensées auraient dévié en terrain dangereux. Mais là, étrangement, je ne ressentais que la douceur de ses doigts sur mes lèvres.

― Si, ils me détendent aussi, acquiesçai-je dans un souffle alors que Morgan se blottissait au plus près.

A nouveau, j'eus un moment de retard avant de répondre ― les brumes étaient là, légères mais présentes, me drapant dans leur blancheur alors que l'eau tiède m'enveloppait si délicieusement... Ç'aurait été agréable ; agréable de se laisser aller si mes voix intérieures n'objectaient pas :

― Je ne veux pas..., protestai-je enfin ― protestai-je faiblement.

Je me frustrai aussitôt.

« Je ne veux pas dormir, » répétai-je, essayant de me détacher d'Angel ― de me détacher de ses lèvres pour mieux me retourner et le regarder dans les yeux ― ses beaux yeux mordorés... de si près, je pouvais voir toutes les nuances d'un miel caramélisé.

« Je veux dîner avec toi..., soufflai-je. Je veux partager la même assiette et je veux picorer les morceaux que tu me laisseras... Je veux veiller jusqu'à ce que les chandelles se meurent et je veux me réveiller comme tu me réveilles tous les jours... »

J'en avais assez de rêver mes journées au lieu de les passer avec Angel...

« Plus de sels, » le prié-je.

Je préférais encore avaler un affreux tonique qui me revigorerait que m'assoupir.

J'allais objecter mais me retins. Quelque part, je comprenais le désarroi de Morgan. Une infime partie de moi - très infime -, réclamait elle-aussi, ce qu'il désirait. Tous nos instants d'intimité - surtout nos réveils crapuleux - me manquaient. Mais je savais aussi que malgré notre frustration, nous ne faisions que reculer pour mieux sauter. Dans à peine quarante-huit heures, nous serons à Adsav.

Normalement...

Je chassai illico mes craintes pour revenir à mon patient anglais.

― Sortons vite de l'eau, avant que tu ne t'endormes dans mes bras, alors ! Mais cela ne me dérangerait pas, ajoutai-je précipitamment de peur de qu'il n'interprète mal mes mots.

― Sortons vite de l'eau, répondit doucement Angel, ses prunelles ancrées encore à l’eau de mon regard, avant que tu ne t’endormes dans mes bras, alors !

Cette fois, ma réaction fut plus rapide et mes lèvres se parèrent d’un sourire heureux.

« Mais cela ne me dérangerait pas, » tint-il à ajouter, à préciser…

― A moi, non plus, murmurai-je, mais pas avant les douze coups de minuit…

…pas avant d’avoir profité de notre première soirée depuis le début de la semaine ; pas avant d’avoir eu mon rendez-vous amoureux si désiré…

Je me penchai ― penchai la tête ― et caressai ses lèvres des miennes… Je n’essayai pourtant pas de jouer ou de le séduire ; je voulais seulement retrouver nos baisers, la tendresse de ses étreintes, la délicatesse de ses caresses : autant elles avaient le pouvoir de m’enflammer, autant elles savaient me réconforter, me faire me sentir aimé et protégé…

…tout comme son parfum d’herbes fraîches que je pouvais encore sentir sur sa peau…

« Merci, Angel… »

Merci de ne pas me forcer, même pour mon bien ― merci de prendre en compte mon autre bien ; merci de me comprendre… mon boyfriend était une perle rare.

« Est-ce tu peux m’aider ? » demandai-je.

J’étais déjà affaibli avant de prendre ce bain et le bras d’Angel autour de mes hanches avait été plus qu’appréciable ; à présent, je sentais que c’était moi qui lui demanderais de me porter…

Réussirais-je, encore longtemps, à tenir mon rôle d'infirmier, alors que Morgan m'embrassait ainsi ?

Okay, je savais que son baiser ne cachait rien d'autre qu'un baiser empli de gratitude envers toutes les attentions que j'avais à son égard... mais malgré toutes mes bonnes résolutions, je ne pouvais pas occulter la position qui était notre.

J'optai alors pour la sagesse :

― Tu veux bien fermer les yeux, le temps que je sorte ?

Temps d’arrêt ― fermer les yeux…? Pourquoi faire ?

Une raie barra mon front. Avait-il réellement besoin que je ferme les paupières pour sortir ? Que comptait-il faire ?

Le malaise levait doucement les brumes ― que désirait-il que je ne vis pas ?

Je ne posai ― heureusement ― pas la question : les sels m’avaient fait oublié un détail, un détail de taille ― Angel était nu.

Je l’étais aussi mais je le savais déjà ― et Angel m’a dit, m’avait certifié qu’il ne m’avait regardé qu’avec des yeux d’infirmier ; et même si j’espérais que, quelque part, il m’ait également regardé avec des yeux de boyfriend, appréciant ce que j’avais à lui offrir, je n’étais pas prêt à le voir ― pas comme ça, pas dans mon état, blessé et à moitié assommé par les sels (quoique mon petit accès m’avait quelque peu réveillé).

― Okay…, soufflai-je, osant à peine bouger : pouvais-je reculer sans le toucher davantage ? Pouvais-je reculer sans qu’il m’aide ? J’étais quasiment allongé sur lui…

« Je ferme les yeux… »

J’inspirai profondément et m’exécutai ― ce qui n’était pas forcément chose aisée : tout à coup, je me sentais de nouveau vulnérable et fermer les yeux me mettait dans une position encore plus vulnérable ; mais je ne désirais pas plus garder les yeux ouverts…

Faire confiance, me dis-je. J’avais confiance en Angel. Je devais seulement de décrocher de mes peurs, de mes accès et me laisser faire par le jeune homme que j’aimais. Et qui m’aimait tout autant.

Devais-je reposer la question ou expliquer ma gêne à me montrer dans le plus simple appareil ?

J'avais peut-être changé depuis que je connaissais Morgan, lequel avait révélé un côté tactile que je ne me connaissais pas... mais de là à me montrer nu...

...petit-ami ou non, j'avais encore du chemin à accomplir.

Morgan sembla perturbé par ma requête avant d'obtempérer.

Je réprimai un soupir de soulagement et à peine eut-il fermé les yeux que je me redressai en veillant, toutefois, à ne pas le quitter des yeux. Non pas que je craignais qu'il ne les rouvre. Juste pour m'assurer qu'il ne glisse pas dans l'eau !

Je ramassai le peignoir resté au sol avant de m'en envelopper de sortir de la baignoire.

― Merci, trouvai-je important d'ajouter avant d'aller lui chercher un autre peignoir.

A peine eussé-je fermé les yeux que je le sentis, l’entendis se lever, le contact de son corps comme une brève caresse contre le mien, l’eau ruisselante retrouvant celle du bain ― mon cœur accéléra : il était debout et moi j’étais assis, seul, dans la baignoire ; il était debout et moi j’étais nu, les yeux fermé…

…j’avais beau faire confiance, cela ne plaisait guère à toutes les fibres de mon corps ― je me contractai malgré moi.

Ce fut son « merci » qui, étonnement, me détendit : il savait… il savait combien c’était difficile pour moi et il me remerciait d’avoir obtempéré… il me remerciait alors qu’une autre partie de moi ― celle qui ne paniquait pas ― était heureuse de fermer les paupières…

― Merci, répondis-je, ma voix toujours à peine au-dessus du murmure.

Et j’attendis sagement la suite, le colibri dans mon cœur consentant à se reposer sur sa branche.

― Tu peux ouvrir les yeux, soufflai-je, après être revenu vers Morgan, le peignoir en mains.

"Veux-tu que je t'aide à sortir ?"

Je rouvris doucement les yeux et découvris Angel devant moi, habillé d’un peignoir blanc. Il était magnifique ; il était grand. Il était très grand vu de la baignoire.

A travers des yeux d’infirmier, me rappelai-je. Etait-ce en patient qu’il me voyait à cet instant, alors que j’étais nu et vulnérable, face à lui ? Ou voyait-il le petit ami, le garçon qu’il désirait, qu’il voulait serrer près de lui et embrasser ?

Et moi, que voulais-je ?

Ne pas réfléchir, me dis-je sans ― précisément ― réfléchir : laisser les choses se faire… Angel, quelque soit la blouse qu’il revêtait, ne me ferait pas de mal… et c’était évertué à le prouver toute cette semaine ― ce n’était pas, après tout, la première fois qu’il me baignait…

― S’il te plaît, acquiesçai-je.

Je ne le pourrais autrement, de toute façon.

Je me penchai vers Morgan et passai mes bras sous ses aisselles pour le relever.

― Je reste ton infirmier tant que nous sommes dans cette pièce, préférai-je préciser, pour pallier à toute interrogation de sa part.

"Et en tant que tel, je vous trouve bien léger, Monsieur Le Fay. Je vais devoir sévir", le grondai-je gentiment.

Je savais que Morgan ne pesait pas lourd mais cette diète forcée n'avait pas arrangé son petit poids.

Je le ramenai contre moi et l'aidai à passer le vêtement. Puis, avant qu'il ne conteste mes dires, je me penchai et glissant un bras derrière ses genoux, le basculant dans mes bras ― à sa place légitime...

Le petit-ami le plus léger de la Terre, songeai-je en repensant à notre première journée sur les toits.

Délicatement, Angel me prit dans ses bras. Je ne protestai pas, pas même pour la forme : c’était exactement là où je désirais être, aimé et protégé ; la blouse que portait mon infirmier arborait également les couleurs de celle de mon boyfriend ― et c’était une parfaite alliance. Je posai ma tête sur son épaule, décelant un soupçon d’herbes fraîches au creux de son cou.

― Si vous sévissez, Dr. Death, commençai-je à protester, vous ne pourriez me porter…

…or, c’était délicieux d’être ainsi serrer dans ses bras. Je m’y blottis, déposant un chaste baiser dans son cou.

« Je mangerai, certifiai-je. Choisis quelque chose de gourmand. »

Si je désirais jouir de mon package pique-niques-randonnées-balades-chocolats chauds à Adsav, je devais recouvrer mes forces ; et pour cela, je devais manger. Un peu.

« Lénaïc ne le prendra pas mal, si je n’arrive pas à finir mes assiettes ? » m’enquis-je. J’avais compris que la cuisinière des Death occupait une place importante dans le foyer des Death et, de ce fait, je préférai ne pas la vexer, si je le pouvais…

…quoique j’aurais toutes les peines à finir mes assiettes pour elle si je ne le pouvais déjà pas pour Angel…

Morgan confortablement installé dans mes bras, je quittai la salle des bains avant de traverser les vestiaires, vides à cette heure ci.

― Il existe toute forme de punition, tu sais ?

Encore une fois mes pensées m'amenèrent vers une autre conversation du même genre...

"Rassure-toi, Mère et Olympia non plus, n'ont pas un gros appétit. Lenaic ne t'en tiendra pas rigueur si tu ne termines pas ses petits plats. C'est une personne très humaine. Elle devrait te plaire", ajoutai-je, en songeant aux rapports que Morgan entretenait avec Jole ― familiarités exceptées, bien sûr !

Le couloir des dortoirs était tout aussi désert et j'ouvris la porte de notre chambre sans rencontrer âme qui vive.

― Mon boyfriend est grand et fort, objectai-je. Il ne vous laissera pas faire, docteur…

Cette blouse blanche commençait à être trop présente à mon goût et j’avais hâte qu’il la retire.

« Je demanderai si elle voudras bien partager avec moi certaines de tes recettes préférées, dis-je alors qu’Angel refermait la porte de son épaule. Crème au chocolat, c’est cela…? »

C’était le dessert que je lui avais apporté le premier soir ; j’espérais que lorsque je ferais les miennes, mes crèmes seraient meilleures que celles de Jole et de Lénaïc.

« Crois-tu qu’elle m’appréciera ? » demandai-je. Au fond, j’avais davantage peur qu’elle ne m’aime pas que du contraire…

― Même pas peur..., plaisantai-je, avant de déposer délicatement Morgan sur le lit.

Je restai un instant au-dessus de lui. Pouvais-je retirer ma blouse où devais-je attendre que nous soyons décemment vêtus ?

Je déviai sciemment vers un sujet moins dangereux.

Quoique...

...je revins obligatoirement vers mes souvenirs précieux... Morgan frappant à ma porte avec la crème dessert ; la conversation qui s'ensuivit ; sa provocation et pour finir, les quatre longs et interminables jours qui s'ensuivirent.

Je ne me rendis pas compte que je m'étais davantage penché vers lui, avant de réaliser la proximité de nos visages.

"Crème dessert au chocolat, c'est bien cela", émis-je dans un souffle contre ses lèvres.

J'avais oublié Lenaic et la question de Morgan. Je restai à fixer ses lèvres, ne sachant pas s'il était judicieux de céder à leur appel.

― Même pas peur..., plaisanta Angel, mes creuses menaces écartées d’un sourire.

Il me déposa alors sur lit, délicatement, précieusement ; non pas comme un patient mais un trésor, son trésor ― et je laissai sur mes lèvres éclore un sourire charmé. L’infirmier était là et le boyfriend à ses côtés…

…peut-être même plus près que je ne le croyais : ses prunelles de terre ocre rivées à l’eau ensoleillée de mes yeux, Angel se pencha encore davantage…

…et son regard glissa vers mes lèvres, non sans que j’y décèle une étincelle de désir. Un frisson électrique me fit légèrement cambrer le dos ― Angel ne me touchait même pas et déjà il faisait naître des picotis de désir, de plaisir en moi ― qu’en serait-il lorsqu’il me caresserait ? Je retins mon souffle…

― Crème dessert au chocolat, confirma-t-il, ses lèvres effleurant presque les miennes.

Des scènes de nos premiers baisers, nos premières provocations affleurèrent ma mémoire ; la chambre s’effaça et je me retrouvai de nouveau sur les toits, Angel au-dessus de moi…

Mon cœur accéléra.

Même regard, empli de désir, d’hésitation ; sa voix, comme le velours, douce, chaude…

― Embrasse-moi…, demandai-je, ma voix tel un filet d’eau coulant à peine. Embrasse-moi… s’il te plaît… Angel…

Décidément, cette soirée semblait drapée de souvenirs. Les mêmes mots prononcés. Une seule différence et de taille : le chemin parcouru depuis...

... depuis notre première sortie sur les toits.

Je n'étais plus le jeune homme empli de doutes, de peurs et d'incertitude. J'avais évolué, devenant au fil des jours plus accro à Morgan que je n'aurais imaginé pouvoir l'être ; recherchant tout autant que lui la caresse de ses lèvres ou de ses mains ; n'imaginant pas un seul instant pouvoir passer le reste de ma vie ailleurs qu'à ses côtés ; capable de braver l'autorité de mes parents pour le simple fait que j'étais amoureux. Amoureux pour la première fois de ma vie et certain d'avoir trouvé l'homme de ma vie. Aussi jeunes puissions-nous être, Morgan et moi, je savais que notre relation était unique, magique, éternelle...

― Ne bouge surtout pas, murmurai-je tout bas à quelques millimètres de sa bouche.

Par mes mots, les mêmes mots écho aux siens, je prouvai à Morgan que j'avais moi aussi, quitté notre chambre pour me retrouver sur les toits du château. Là, où toute ma vie avait basculé.
Avec toute la délicatesse dont je me sentais capable d'user, j'effleurai tendrement les lèvres offertes à mes caresses.