Le patient anglais

Je refermai doucement la porte de ma chambre et à l'abri entre ses murs, je me permis alors de souffler. De soulagement et de satisfaction. Par chance je n'avais croisé personne sur le chemin du retour. Je pourrai d'autant plus recourir au mensonge pour sécher les heures de classe et ainsi, rester au chevet de Morgan.

Il était hors de question que je le laisse seul ici !

Je jetai un regard vers notre lit. Comme je l'avais escompté, il s"était rendormi. Son corps meurtri avait besoin de repos. C'était un bon moyen pour guérir du traumatisme qu'il avait subit. Je ne connaissais pas encore la cause de son état mais je savais que Morgan m'expliquerait au moment où il se sentirait prêt à le faire. Je n'avais pas à le brusquer par mon impatience et mon désir de faire payer au responsable, ses blessures.

Quittant mon poste d'observation, je vidai le contenu de mes poches sur mon bureau. J"espérai que ce que j'avais pris suffirait à guérir Morgan.

Je revins vers le lit, m'assis à ses cotés et restai un long moment à l'observer. Ne désirant, réellement, pas le réveiller, je préférai m"allonger et ne quittai pas ses traits, étrangement détendus, du regard. J'oubliai alors tout ce qui n'était pas lui, moi, nous....

...y compris que l'école se réveillait...

Le corps las et meurtri, je m'éveillai lentement d'un sommeil étrangement paisible, vide de rêves et d'émotions ; seule l'empreinte d'un parfum reconnaissable entre mille l'embaumait encore, persistante et apaisante : herbes fraîches et fleuries. Angel. Mais ce n'était pas mon boyfriend contre lequel je me blottissais...

J'ouvris les yeux avec effort tant, même ce geste infime, m'était laborieux : une sorte de léthargie s'était emparée de moi et bouger me paraissait si ardu.

― Anghel, soupirai-je, recherchant sa chaleur : je me sentais bien avec lui, si bien que même son parfum seul pouvait m'apaiser !

Mais rien ne le valait, lui, ses caresses, ses baisers, l'étreinte de ses bras...

Morgan reparti au pays des rêves, j'étais resté contempler ses traits, jusqu'à m'en brûler les yeux.. Aussi surprenant que cela puisse paraître, son visage tuméfié, ne perdait rien de sa beauté. Elle ne faisait que transparaître — davantage si possible, — au travers de ses fines égratignures. J’aurais aimé le guérir par mes baisers ; le soigner par mon amour, mais je n’étais pas doté de pouvoirs magiques. J”aurais usé de mon charme le plus puissant et effacé sa douleur si j’avais pu.... Ne désirant pas laisser mes lèvres, mes doigts tentés de caresser son visage meurtri — de peur de le réveiller —, je me levai.

J”avais préféré quitter notre lit et m’atteler à une de mes autres préoccupations : écrire à Mère et la prévenir de la venue de Morgan avec moi, à Adsav. J’espérais juste qu’Olympia ne m’avait pas devancé... Avec elle, il fallait s’attendre à tout et surtout au pire...!

Je cherchai encore mes mots, ceux qui ne dévoileraient pas la vraie relation que nous entretenions, quand l’ami en question se réveilla. Mon prénom susurré me ramena aussitôt à ma préoccupation première : Morgan. Je lâchai mon crayon et vint me rasseoir à ses cotés.

― Je suis là, le rassurai-je, en tentant de sourire. Le coeur n’y était pas mais je ne devais pas me laisser gagner par l’inquiétude et la peur. Ni celles engendrées par son état, ni celles que notre absence en cours allaientt sûrement déclencher chez certains...

A défaut d’être un ange, Angel, des fois, me semblait tel un elfe, ses traits si purs, si célestes, si éblouissants ; ses sourires étaient magnifique et, éclatants, amusés ou tendres, ils me charmaient à chaque fois, exaltant la beauté de son âme autant que celle de sa plastique !

Aujourd’hui, je découvrai, à travers le voile brumeux d’un réveil empreint de sommeil, un sourire que je ne lui connaissais pas malgré sa douceur, teinté d’une émotion que je ne parvenais à décrypter dans mon état de fatigue ― de la tristesse ? de l’amertume ? Cette autre émotion était-elle-même réellement présente…? J’avais les paupières lourdes et je ne désirais pas réellement me battre contre la léthargie qui persistait, embrumant mon esprit autant que mon corps.

― I lhuve yoo, fis-je alors, ma voix franchissant, presque inaudible, la barrière de mes lèvres à peine entre-ouvertes.

C’était sorti sans réfléchir ― le pouvais-je encore ? ― sans attente, sans attendre : j’aimais Angel et mon cœur, fleurissant à sa seule pensée, empli des gazouilli de ce cher colibri sur sa branche, savourait chaque mot d’Amour adresser à l’objet de toute sa raison de battre ! Malheureusement, trop las pour rester éveillé, je me laissai à nouveau sombrer dans le sommeil ― quand avais-je fermé les yeux ? Je ne me le rappelais pas ― ses mots ― s’il en avait eu ― perdus dans les limbes de mes rêves…

Combien de temps dormis-je ? Les heures paraissaient s’égrener les unes après les autres ; les draps que je n’avais pas quittés étaient désagréablement chauds ; et mon corps, resté trop longtemps figé, protesta : je laissai échapper un gémissent, faible mais bien réel ― j’avais mal. J’étais fatigué et j’avais mal.

― Ne parle pas, Morgan, ne te fatigue pas en paroles inutiles.. Je sais déjà tout cela, soufflai-je, ému de le voir si mal en point. Maintenant que tu es réveillé, nous allons pouvoir nous occuper de tes blessures. Mais avant, je vais descendre en cuisines nous chercher de quoi manger. Je ne voulais pas que tu ré-ouvres les yeux alors que je m"étais absenté. Je ne serais pas long, promis-je en déposant un baiser sur ses lèvres.

Ne pas parler. Ne pas se fatiguer. Descendre en cuisine. Rouvrir les yeux, s'absenter. Et oublier la douleur par la force d'un baiser coloré de tendresse : Angel était le seul remède qu'il me fallait ; avec lui, je pourrais combattre le mal qui embrasait chaque parcelle de mon corps ! Si sa fragrance, habituellement, me grisait, elle avait toujours été, en même temps, très apaisante ; la caresse de ses lèvres, elle, ne manquait jamais de me transporter ; et ses bras étaient toute la protection que je désirais avoir ! Et puis, je préférais souffrir dans ces derniers que de descendre voir l'infirmière ― laquelle, quelque part, me faisait peur avec ses airs de prédatrice et dont je ne voulais pas avoir les pattes se baladant sur ma personne !

Contraint d'attendre le retour de mon Ange gardien, je patientais impatiemment, douloureusement. Serait-il sorti pour moi seul, je l'aurais arrêté ; mais il devait manger...

...je restai donc blotti contre son oreiller, sous la couette moelleuse mais trop chaude, le corps toujours très las et l'esprit encore embrumé alors que le sommeil l'avait complètement déserté...

Plateau en mains, je revins dans la chambre et m'assis au bord du lit.

― J'ai demandé à Mila de me préparer deux thermos. Un de soupe et un de chocolat. Tu as une préférence ? questionnai-je Morgan en déposant mon chargement sur la table de nuit.

Surpris par le bruit de porte qui s'ouvrait, je rouvris les paupières et réalisai tout à coup qu'elles s'étaient fermées seules, il y avait déjà un moment...

La porte refermée, Angel s'approcha et s'assit près de moi, déposant un plateau sur la table de nuit.

― J'ai demandé à Mila de me préparer deux thermos. Un de soupe et un de chocolat. Tu as une préférence ?

You, songeai-je alors que je fis l'effort de me séparer de son oreiller pour me blottir contre ses jambes, ma tête sur ses cuisses.

― Non, répondis-je sans réfléchir d'une voix plus douce que de coutume.

Pourtant, alors que j'adorais le chocolat, je n'en voulais pas, aujourd'hui...

...en fait, je n'étais même pas certain de vouloir de nourriture.

― Non...? répétai-je, amusé mais peu surpris, repoussant une de ses mèches de cheveux, la déposant derrière son oreille.

" Je crains que tu n'ais pas trop le choix, tu sais...? C'est l'un ou l'autre. Il n'y a pas de troisième option...".

Je ne céderai pas. Pas aujourd'hui..., ni plus jamais. Morgan se nourrirait, dusse-je user de menaces ou de chantage pour arriver à mes fins.

Fut-ce parce que j'étais trop mal, trop faible, que je ne protestai pas, ne sachant où trouver la force de m'opposer à Angel si doux, qui ramenait une de mes mèches derrière l'oreille...

...j'exhalai un léger soupir, de contentement, plus que de résignation.

― De la soupe, alors, poursuivis-je sur le même ton, pourtant pas prêt de me redresser, de quitter les cuisses d'Angel... le pouvais-je, même, sans raviver la douleur ?

Satisfais par la réponse, j’attrapai le thermos de soupe et en versai un peu dans une assiette creuse.

― Monsieur est servi. Monsieur désire-t-il que je le fasse manger ? proposai-je, doucement, ne sachant jusqu'où je pouvais jouer les aide-soignants.

Mes lèvres esquissèrent un léger sourire, amusé que j'étais par sa remarque avant de songer que ce serait beaucoup plus agréable ainsi : Angel avait éveillé en moi un désir nouveau, un désir d'être dorloté, et je me retrouvais tout à coup incapable de refuser...

Serrant les dents, je m'efforçai à nouveau de contraindre mon corps à se lever, assez pour poser ma tête sur l'épaule ― sur le torse ― d'Angel, le préférant à tout oreiller contre lequel il pourrait aisément me repousser pour (mieux ?) me faire manger...

― S'il te plaît, sifflai-je, la mâchoire encore crispée, avant de respirer son parfum si apaisant et de relâcher mes muscles...

― Je suppose que tu ne quitteras pas mes bras...? demandai-je plus pour la forme qu'autre chose.

J'approchai l'assiette de son torse et entrepris de le faire manger et ce, malgré l'incommodité de notre position.

'De toute façon, la prochaine étape c'est une douche", l'avertis-je, en espérant ne pas trop faire de dégâts.

― Je suppose que tu ne quitteras pas mes bras...? questionna Angel, connaissant pourtant la réponse : MPER.

Je secouai tout de même la tête ― autant que possible, ma joue collée sur son torse ― les yeux levés vers ses traits elfiques, mes prunelles rivées à l'or des siennes.

― J'aime être dans tes bras..., arguai-je. J'aime ton parfum.

Avais-je parlé assez fort pour qu'il m'entendit ? Ayant ramené l'assiette creuse à mon niveau, il avait enchaîné :

― De toute façon, la prochaine étape, c'est une douche...

Mais je ne l'écoutais pas : il m'avait présenté ma première cuillerée, un velouté de champignons ― cueillis dans la forêt qui cernait le château ? ― dans lequel baignaient ce qui ressemblaient à de tout petits morceaux de lardon... et mes lèvres refusèrent de s'ouvrir. Je n'avais pas faim. Pas un peu, pas du tout.

― Obligé ? demandai-je, le ton suppliant, sous-entendant "de manger".

C'était trop beau pour durer...!

― Non, pas obligé...! répondis-je en entrant dans son jeu. Tout comme tu n'es pas obligé de manger dans mes bras ; ni de recevoir mes attentions ou mes baisers...

Je fis mine de reposer la cuillère dans l'assiette avant de me raviser :

"Ouvre la bouche", lançai-je, d'un ton un peu plus catégorique.

Il y avait quelque chose dans le ton tendre mais ferme d'Angel, qui ne me laissait pas protester ; et alors qu'il ramenait la cuillère à mes lèvres, je les entrouvris sans réfléchir, accueillant le velouté de champignons qui était beaucoup plus doux que ce que j'avais imaginé. J'avalai lentement, mâchouillant le petit morceau de lardon un moment.

― Tu ne manges pas ? demandai-je alors qu'il approchait une deuxième cuillerée.

N'était-ce pas juste qu'il mange avec moi ?

Morgan joua les malades modèle et ne protesta pas plus. Comment aurait-il pu ? Je savais très bien qu'il était incapable de se priver de mes baisers. Aux grands maux, les grands remèdes et cette soupe était ce qui lui convenait le mieux dans l'immédiat.

― Tu ne manges pas ? voulu savoir Morgan.

Comment lui expliquer que je n'avais pas la tête à manger ? Que c'était la dernière de mes préoccupations ? Qu'il était ma seule et unique priorité ?

― J'ai mangé un morceau de pain en attendant que Mila prépare les thermos. Elle te passe le bonjour, au fait, ajoutai-je avant de lui proposer une autre cuillerée.

Un misérable morceau de pain ? pensai-je, l'image d'un pain sec et rassi se formant dans mon esprit alors que j'aurais dû savoir que jamais Mila ne l'aurait laissé ainsi se nourrir : je voulais moi aussi qu'il se nourrisse ; je voulais l'embrasser, le faire goûter à ce velouté de champignon ; mais avant que je puisse même songer à me hisser, Angel posait la cuillère sur la lèvre inférieure et j'aspirais doucement, lentement le velouté.

― Partage avec moi, dis-je, lorsque j'eus (enfin) avaler.

― Je n'aime pas la soupe aux champignons, lançai-je en portant une énième cuillère à ses lèvres.

Mensonge, mais je ne devais pas le laisser me distraire. S'il comptait sur moi pour finir son assiette, c'était mal me connaitre. Pas aujourd'hui.

"Encore deux ou trois cuillerées et je te laisse tranquille, promis..."

Not any more, songeai-je, sachant que je ne pourrais pas en avaler davantage ; ces quelques premières cuillerées m'avaient rempli et ce n'était que pour Angel que je les avais prises. Pour être dans ses bras. Respirer son parfum. Peut-être même m'y laisserait-il dormir...

― Tu mangeras, après ? m'enquis-je, tout de même soucieux, avant d'aspirer le velouté et de mâchouiller le bout de lardon.

― Après..., répondis-je songeur, en pensant à ce qu'il me restait encore à faire, à organiser. Tu es ma priorité, Morgan. Toi, tes blessures à soigner... Moi, je passe après, terminai-je en déposant un baiser sur le dessus de sa tête.

― Angel..., protestai-je faiblement, troublé par ses révélations. Tu ne passes pas après... je t'aime...

J'avais peut-être l'esprit encore embrumé mais le velouté m'avait redonner quelques force, assez pour réfléchir.

« Je peux attendre... dans tes bras... »

Il était, au fond, le seul remède dont j'avais besoin.

― MPER ! C'est assez clair comme réponse ? Le seul à devoir s'inquiéter ici, c'est moi. Je m'occupe de toi et après, une fois que tu seras douché, pansé et de nouveau sous les couettes, alors là, je m'occuperai de moi et de mon estomac. Ai-je été clair, Morgan ?

Je me laissais faire, trouvant quelque chose d'étrangement réconfortant émanant de ce ton si ferme, voire autoritaire si une certaine tendresse ne transparaissait pas en filigrane.

― Oui, répondis-je presque timidement.

Je me blottis alors tout près, oubliant les cuillerées à venir ― j'étais plus que rassasié et je ne voulais plus que passer le reste de la journée entre ses bras, sous la couette...

Je ne pus m'empêcher de sourire en entendant sa réponse. Le premier vrai sourire depuis mon réveil... lequel me ramena à ma réalité : Morgan blessé et qui nécessitait mes soins et mon attention. Je n'insistai pas avec la soupe, ravi qu'il en ait déjà tant pris et reposai l'assiette sur son plateau.

Sans précipiter mes mouvements, de peur de ranimer sa douleur - laquelle semblait s’être légèrement estompée, du moins l'espérai-je - je pris appui contre l'oreiller et gardai Morgan tout contre moi.

― Nous ne devrions pas trop tarder. Plus vite je te soignerai, plus vite tu te porteras mieux, annonçai-je en déposant un baiser sur le sommet de sa tête.

Ses mains, que je n'osai toucher, étaient toutes égratinées. Pourtant j'aurais aimé les serrer, les caresser, lui faire savoir que j'étais là, à ses cotés et qu'il pouvait compter sur moi.

J'exhalai un soupir de frustration en me sentant incapable de faire plus qu'attendre. Attendre que la soupe fasse son effet. Attendre que le temps guérisse Morgan. Attendre...