Soleil Levant (suite)

Sous le couvert des arbres, la lumière du soleil levant, d'habitude si brute, si éclatante pour mes prunelles, était filtrée de telle sorte qu'elle paraissait réellement tamisée, éclairant le sous-bois d'une lueur pâle et satinée qui faisait luire les perles de rosée accrochées aux feuilles vertes. Les eaux claires du lac, elles, ressemblaient à un miroir argenté, bordées par une petite berge de galets blanc.

C'était à la lisière de ce lac qu'Angel m'avait entraîné, désirant courir tout autour pour cette première sortie. Le cadre était magnifique, aussi, faire un footing auprès de mon boyfriend ne pouvait qu'agréable, même si le jeune homme me poussait à me dépasser... quoique qu'il semblait décélérer et accélérer selon mon état, de façon à ce que je ne m'épuise pas complètement.

En fait, Angel paraissait procédé tel un coach : il avait commencé avec des échauffements et, avant que nous nous lançâmes, il m'avait expliqué que je devais respirer par le ventre, avec la bouche, plaçant sa main sur mes abdos pour mieux me montrer. J'avoue que j'eus peur d'être complètement devancé, mais il resta auprès de moi, ne prenant les devants que lorsque nous repartîmes vers les bois et que le chemin se rétrécissait...

De temps à autre, il demandait si ça allait. Invariablement, j'acquiesçais même si j'étais essoufflé : je m'étais mis en tête que je n'abandonnerais pas ni ne me plaindrais. Ce que je n'avais pas escompté, c'était qu'il pleuve : averse bretonne. En soit, elle n'était pas gênante même si assez fraîche ― malheureusement, elle détrempait également le terrain, le rendant boueux par endroit... j'étais gâté pour ce premier jogging.

Un peu trop gâté : me lançant d'un tronc d'arbre couché sur le sol, au lieu de me réceptionner avec la même grâce et légèreté qu'Angel, malgré mon agilité (il en fallait pour faire de l'escrime), je glissai et tombai :

― Fuck.

Pardon my French.

Force m'étais de constater que j'étais impressionné par l'endurance dont faisait preuve Morgan. Je ne m'étais certes pas attendu à ce qu'il soit un piètre jogger mais je ne m'attendais pas à ce qu'il ait autant la niaque. Il ne faiblit jamais son allure et maintint une vitesse constante, malgré mon envie de souvent ralentir le rythme de notre course.

J'avais débuté la séance par une série d'échauffements - séance obligatoire, que l'on soit sportif confirmé ou pas ... - Même moi, je ne dérogeais pas à ces exercices avant de m'élancer chaque matin.

Nous en étions aux trois quarts du chemin, lequel nous ramenait au chateau, sur la dernière ligne droite, traversant la foret, quand la pluie nous tomba dessus. Je ne pu m’empêcher de faire l’amalgame avec la conversation que nous avions eu sur les toits l'avant-veille.

L'aimerait-il toujours autant cette pluie qui détrempait le sol au point de le rendre glissant et dangereux ...?

Je dois dire que j'eus ma réponse plus vite qu'escompté !

― Fuck.

Le seul mot qu'il fut à même de prononcer, mais assez significatif pour que je m’arrête et que je rebrousse chemin.

Je retins difficilement un sourire en le voyant étalé de tout son long sur le sol boueux. Le responsable de sa chute ? Un tronc d'arbre, surement déraciné suite à la tempête qui avait sévi l'hiver dernier sur le littoral. La force de certains vents était telle, qu'ils avait atteint l'intérieur des terres occasionnant de multiples incidents du genre; donnant aux forets et autres paysages de bien tristes aspects de nature mortes et désolées. Même Adsav avait souffert de la violence des vents ...

― Tu étais jusqu'à maintenant bien trop parfait dans le rôle du jogger débutant, il fallait bien que cela cesse, le taquinai-je en lui tendant une main secourable.

Avais-je le chic pour me mettre en position de faiblesse devant Angel ? C'était ce qu'il paraissait alors que je me trouvais tombé sur les fesses devant mon boyfriend, mon short et mes jambes tachés de boue.

― Tu étais jusqu'à maintenant bien trop parfait dans le rôle du jogger débutant, il fallait bien que cela cesse, fit-il, des paillettes d'espièglerie pétillant dans ses yeux caramel.

Je saisis la main qu'il me tendait et me retrouvai rapidement sur mes pieds.

― Sans doute, grommelai-je.

J'avais espéré, de mon côté, faire un sans faute.

« Attention, je vais te salir si tu t'approches trop, » avertis-je. Pas la peine d'être tous les deux barbouillés de boue...

...sur un short blanc, en plus ! Un short blanc que la pluie rendait à moitié transparent... là où la boue ne me recouvrait pas, naturellement.

En d'autres termes : la totale !

Pas grave. L'averse finirait par me rincer de cette bourbe de terre, de mousse et de brindilles. Et puis nous irions nous doucher.

― Let's go, déclarai-je, levant les yeux vers Angel.

Ses cheveux de sable étaient lourds et gorgés d'eau, ses pommettes et ses joues perlées de grosses gouttes. Ses vêtements lui collaient au corps. Il était beau. Comme toujours.

Morgan à moitié couvert de boue, détrempé par la pluie et légèrement vexé donnait un cocktail "interessant" à cette première sortie "jogging en amoureux".

J'avais deux solutions qui s'offraient à moi : "Let's goer" comme me l'avait proposé Morgan ou profiter de la situation à des fins moins catholiques ...

― C'est bon pour la peau, tu sais ? dis-je en laissant descendre mon regard le long de ses jambes salies avant de revenir à son visage, rougi par l'effort.

"En Bretagne nous avons plusieurs centres de Thalasso qui sont spécialisés dans les bains de boue en tout genre," expliquai-je à mesure que je me rapprochais de lui.

"Je me doute que ta fierté à dû en prendre un coup, mais j'ai le remède idéal pour te faire oublier ta déconfiture ..." soufflai-je contre ses lèvres, incapable de résister à mon envie de l'embrasser ...

Mais Angel ne repartit pas ; à la place, il fit un petit pas vers moi :

― C'est bon pour la peau, tu sais ? m'expliqua-t-il, son regard descendant le long de mes jambes souillées de bourbes, avant de revenir vers mes traits. En Bretagne nous avons plusieurs centres de Thalasso qui sont spécialisés dans les bains de boue en tout genre...

Un autre petit pas qui risquait fort de tacher ses vêtements plus qu'autre chose. Je l'observai, curieux, me demandant où il désirait en venir...

« Je me doute que ta fierté à dû en prendre un coup, mais j'ai le remède idéal pour te faire oublier ta déconfiture... » finit-il, ses lèvres s'approchant des miennes, douces et caressantes...

Oh : a kiss.

Angel semblait être particulièrement disposé à m'embrasser, ce matin ― et j'avoue que c'était agréable... très agréable... Je glissai ma langue entre ses lèvres et me serrai tout près de lui, contre son corps encore chaud malgré la fraîcheur de l'averse. L'eau ruisselait sur nous, colorant ce baiser d'une saveur particulière, le parfum de la sylve s'y mêlant : embrasser Angel dans ce cadre avait quelque chose de... sauvage. D'une douceur et d'une fraîcheur sauvage, presque aussi grisante que sa fragrance d'herbes. Dans ma poitrine, le colibri voletait, léger et allègre...

― Je crois que je t'ai taché, exhalai-je lorsque nos lèvres se détachèrent un instant.

Ceci dit, je doutais que cela le dérangeait... qu'avait-il dit ? Bon pour la peau...?

Je n’empêchai pas mes lèvres d'esquisser un sourire.

La sollicitude de Morgan pour mes vêtements était touchante mais à des années lumières de ma préoccupation première : poursuivre notre baiser. Le premier vrai baiser du jour qui, avec la pluie et le cadre, devenait encore plus mystique, me rendant encore plus désireux de prolonger l'instant.

― T'inquiète, ce n'est que de la boue, le rassurai-je, en déposant, à regret, une dernière caresse sur ses lèvres gonflées.

Je me détachai de Morgan et glissai une de ses mèches détrempée derrière son oreille, avant de jeter un oeil au-dessus de nos têtes - la pluie tombait sans discontinuer et avait l'air bien partie pour nous tenir compagnie toute la journée ...

"On devrait peut-être songer à rentrer avant d’attraper la mort ..."

Notre première séance avait soudain pris des allures de "calvaire". Je l'avais bien senti que l'on aurait du rester au lit ... Quoique, voir Morgan, dans cet état: trempé, ses vêtements moulants son corps, rougi par l'effort et les yeux brillants, donnait à la promenade un charme certain...!

Mèche glissée derrière l'oreille : le geste était tendre, affectueux, amoureux, et je me surpris à ne pas tressaillir, me raidir à peine ― lorsque Kyllian avait essayé d'en faire de même, je m'étais braqué sans réfléchir, repoussant sa main par réflexe : j'avais ressenti ce geste fait vers mon visage comme une agression... J'avais de sérieux problèmes avec les rapports de forces. C'est pour cela, d'ailleurs, que malgré mon grand côté tactile, je m'étais toujours arrangé pour garder mes distances, ne me laissant approcher que lorsque j'étais certain de préserver le contrôle...

Mais à présent, il y avait Angel ― Angel qui avait apprivoisé le colibri habitant mon coeur, Angel qui m'avait fait tomber sous son charme ; hormis ma petite crise de panique sur les toits, je me laissais relativement faire, relativement approcher, ne me raidissant plus que passagèrement ― j'avais dit à mon boyfriend qu'il était doué.

― Rentrons, acquiesçai-je, lui offrant un petit sourire.

Le terrain commençait à se transformer en rivière de boue et mon corps à se glacer.

« J'aime la pluie, poursuivis-je, et celle-ci en particulier ; mais j'aime aussi les douches chaudes. »

D'autant lorsque j'étais couvert de boue. Je m'approchai pour poser un dernier baiser sur ses belles lèvres puis fis un geste de la tête vers le château : cette fois, j'étais prêt pour repartir.

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