Be not afraid of greatness... (suite)

Minuit. Finalement, je ne m'étais pas précipité : Loulou m'avait arrêté.

― Infirmière, infirmière ! s'était-il écrié.

Et pour cause : ma veste et ma chemise étaient déchirées, mes mains et mes bras écorchés. J'étais surpris, d'ailleurs, de ne pas être tâché de sang... mon sang... Mais même sans être ensanglanté, je ne pouvais me présenter ainsi dans le foyer ; alors j'attendis qu'il fit tard afin d'éviter les autres élèves. Et puis, que dirais-je à Angel...?

J'espérais seulement qu'il dormît : ainsi, je pourrais me changer sans qu'il me vit. Sans qu'il vit mes vêtements en lambeaux ― il s'affolerait sans doute et... j'étais trop choqué pour le rasséréner. Le réconforter. Aussi, ce fut avec précaution que j'ouvris doucement la porte...

Voilà presque deux heures que Morgan avait quitté la chambre, et ce, pour satisfaire une autre lubie de son notaire ...

J'avais consacré la moitié de ce temps à mes devoirs et l'autre à me retourner dans les draps incapable de m'endormir. J'avais, un moment, espéré retrouver Morgan dans mes bras, le lendemain à mon réveil, mais le sommeil ne voulait pas de moi. J'étais trop préoccupé à me remémorer la dernière soirée où la gargouille avait été évoqué. Le soir où j'avais pris conscience des actes irréfléchis que faisait subir Lord Witherby à Morgan, sans tenir compte des risques qu'il encourrait. Risques qui ne semblaient pas tant déplaire à mon inconscient de boyfriend ... !

― La prochaine fois, je viendrai avec toi, déclarai-je sans me retourner, en entendant la porte s’ouvrir, cela m'évitera de me faire un sang d'encre en attendant ton retour.

Apparemment, Angel ne dormait pas :

― La prochaine fois, me prévint-il, allongé dans le noir, sous les draps, je viendrais avec toi : cela m'évitera de me faire un sang d'encre en attendant ton retour.

Je hochai la tête, même s'il ne pouvait pas me voir dans l'obscurité ― je ne pouvais répondre, ma voix me trahirait à coup sûr.

Je me dévêtis rapidement, malgré la douleur qui irradiait de mes mains écorchées, repliai mes affaires et les déposai sur ma chaise, avant de m'habiller d'un de mes bas de pyjama et d'un débardeur d'Angel.

Je regagnai alors ma place dans le lit, dos à Angel, en espérant qu'il m'entourerait de son bras... quoique je tremblais tellement que ce n'était peut-être pas la meilleure des idées...

Je laissais Morgan se déshabiller dans l'obscurité, étrangement silencieux - seul le mouvement de ses vêtements résonnait à travers la chambre - et venir me rejoindre avant d'oser l'interroger sur son expédition. Je pensais, naïvement, qu'il se jetterait dans mes bras, comme chaque soir, mais à la place, il préféra me tourner le dos, me laissant perplexe quand à l'attitude à adopter.

La dernière fois qu'il avait vu la gargouille, son entrevue l'avait affecté. Avait-elle à nouveau été désobligeante envers lui ? Quoiqu'il se soit passé, Morgan n'avait pas l'intention d'en discuter, alors je n'insistais pas. Je voulais juste qu'il sache que j'étais là, s'il en ressentait le besoin. Je l'entourai de mon bras, tout en déposant un baiser sur son épaule nue.

― Bonne nuit ... entamai-je, avant de m'interrompre, conscient de ses tremblements. Morgan ..., tu veux en parler ? murmurai-je tout bas, mon menton reposant encore contre son épaule.

Qu'avais-je espéré ? Cacher à Angel l'état dans lequel je me trouvais ? J'étais si accro à lui que le plus léger contact me fit trembler telle une feuille sous la bise glaciale, embrasant l'ardant désir d'être serré fort dans ses bras, enveloppé de sa fragrance d'herbes fraîches !

― Morgan..., m'appela-t-il en constatant mon trouble, son menton posé sur mon épaule. Tu veux en parler ?

Peut-être... mais tu t'affolerais... tu me chapitrerais...

Je me retournai lentement pour épargner mes bras écorchés, et enfouie ma tête contre son torse, me serrant au plus près, essayant presque de me fondre en lui, mon corps agité plus encore de tremblements.

A défaut de se confier, Morgan se retourna pour se blottir tout contre moi, encore plus tremblant que l'instant précédent, si cela était possible ...

Alors que de le sentir tout contre moi aurait du me réconforter, je n'arrivais pas à me départir de ce sentiment qui me dictait que quelque chose n'allait pas. Ce n'était pas le Morgan amoureux et tactile que j'entourais de mes bras, c'était un autre Morgan ... le fragile, l'apeuré, le tremblant, celui auquel j'avais déjà été confronté une fois ... lors de l'épisode de la capuche et de la poche du sweat-shirt blanc, sur les toits ...

Qu'avait-il bien pu se passer dans le labyrinthe pour qu'il me revienne dans un tel état ?

Ne voulant pas le mettre plus mal - en insistant avec mes questions - je resserrai mes bras autour de lui et déposai de légers baisers sur le sommet de sa tête.

― Je peux attendre un jour, une semaine et même l'éternité si tu as besoin de temps, tentai-je de l'apaiser en dissimulant l'angoisse dans ma voix.

"J'attendrais ... je serai là ... Toujours ..."

Je serrai les mâchoires lorsque Angel m'étrangla dans une étreinte qui raviva la douleur de mes bras écorchés ― mais je ne me plaignis pas, ne désirant que cela : être au plus près de lui, sentir le parfum apaisant des herbes fraîches sur sa peau, ressentir son coeur battre à mon contact.

― Je peux attendre un jour, une semaine et même l'éternité si tu as besoin de temps, déclara-t-il tout bas, au creux de mon oreille. J'attendrai... je serai là... Toujours...

Mot familiers. Mots Magiques. Je fondis : comment résister à la tendresse de tels propos ?

D'ailleurs, j'aurais voulu répondre ; lui révéler ce qui s'était passé ― mais rien ne sortit de mes lèvres tremblantes ― pas un son, pas même le plus petit gémissement ou soupir, la moindre exhalation.

Eprouvé, désarmé, incapable de me retenir, je fermai les yeux, ne désirant plus que me noyer en Angel, me laissant sombrer dans un sommeil noir, sans rêves, protégé des cauchemars par les bras de mon petit ami.

Je sus précisément à quel instant Morgan franchit la frontière qui l'amena au doux pays des rêves. Son corps se relâcha progressivement, abandonnant la tension et les tremblements qui n'avaient cessé de le parcourir depuis qu'il avait gagné le lit ; sa respiration, hachée, rapide, discordante s'apaisa, laissant son souffle léger, régulier prendre le relais et s'échapper contre mon torse.

De mon coté, je trouvai très difficilement le sommeil mais le cherchai-je réellement ?

Malgré la présence de celui que j'aimais dans mes bras, je n'étais pas rasséréné. Pas en voyant le Morgan qui se tenait dans mes bras il y a encore quelques instants. Alors que je ne pensais pas pouvoir fermer l'oeil de la nuit, je baissai les paupières et me laissai glisser dans un sommeil de courte durée : la dernière fois que j'avais regardé le réveil, il était presque trois heures ...

La nuit serait très courte ...!

Je me réveillai le lendemain, l'esprit embrumé, le dos rompu et les membres courbaturés, une douleur sourde irradiant de mon torse et mes bras. Que m'était-il arrivé...? Battant des paupières, j'essayai de chasser le brouillard dans ma tête. Angel, comme d'habitude, me serrai dans une étreinte de fer, tout près de lui. Herbes fraîches. La première nuit, je m'étais affolé au réveil ; à présent, je me sentais protégé, enveloppé dans sa fragrance...

Malheureusement, elle ne faisait pas disparaître les maux et je gémis en essayant d'allonger ma forme restée recroquevillée, semblait-il, toute la nuit. Je me sentais plus las et plus raide que le jour qui avait suivi ma première sortie sportive avec Angel ― comme si j'avais été heurté par un roc...

...un roc ou...

Mon coeur battit tout à coup la chamade ― une gargouille ! Celle qui habitait le labyrinthe, que j'avais réveillée et à nouveau rencontrée la veille, à la demande de Lord Witherby !

Cédant complètement à la panique à la réminiscence des faits, je me débattis brusquement, tremblant, faisant fi de la douleur tellement la nécessité de me dégager de la prise de la créature de pierre m'accablait ― tout faire pour y échapper !

Depuis aussi loin que je me souvienne, je m'eveillais chaque matin quelques instants avant que les premiers rayons du soleil ne percent à l'horizon.

Depuis que j'avais permis à Morgan de partager mes nuits, je me chargeais personnellement de le réveiller. À ma manière, en douceur...

J'aimais nos réveils crapuleux; savoir Morgan si réceptif à mes baisers, mes caresses; l'entendre gémir tous les matins sous le feu de mes baisers ultras, flattait mon ego tout autant que mon désir pour lui grandissait...

Ce matin, comme pour casser la langoureuse routine de nos matins câlins, ce n'est pas moi qui m'eveillais le premier. Niveau douceur, Morgan avait encore des progrès à faire...:

― Hey! ne pus-je m'empêcher de m'écrier, encore vaporeux, quand je fus tiré de mon court sommeil à grand renfort de coups...

Libéré de l'étreinte de fer, de pierre, je fuyais autant que les draps me le permettaient, rattrapé rapidement par la douleur ― le souffle coupé par un mal atroce à la poitrine, je lâchai un gémissement différent de ceux dont j'avais l'habitude le matin. Mes bras, également, me faisaient souffrir le martyre, comme écorché par le feu, et je me retrouvais à me recroqueviller à nouveau, incapable de bouger davantage au risque de me faire encore plus mal. Seule pensée cohérente au milieu de la douleur : Angel. Ses bras que j'avais pourtant quitté. Son parfum. Lui.

Un cauchemar.
Quelle autre raison aurait eu Morgan de me frapper et de s'écarter aussi rapidement de moi si un mauvais rêve n'en était pas la cause ? Ne sachant pas s'il était conscient ou encore dans les bras de Morphée - à défaut des miens - je laissai mes doigts caresser sa nuque.

Je n'espérai pas vraiment le réveiller, mais l'apaiser, lui faire savoir que j'étais là, à ses cotés.

Comme pour exaucer mes prières, Angel effleura ma nuque du bout des doigts, sa chaleur caressant mon âme même à travers cet infime contact : il était là, avec moi, hésitant, certes, mais à mes côtés.

Dans un pénible effort, je me retournai vers Angel, recherchant sa douceur, sa tendresse. Un autre gémissement malheureux, une grimace sur mes traits ; cette fois, je n'osais réellement plus bouger : il fallait que la douleur se calme. Je gardais les yeux fermés, essayant de concentrer mon esprit sur autre chose que cette souffrance...

...autre chose que la gargouille de pierre...

...autre chose que le rapport que je devrais rendre à Lord Witherby...

...autre chose que l'échec que je devrais lui décrire...

...pourrais-je me lever et me présenter devant mes professeurs comme si de rien n'était ? Il me semblait que même mon visage était abîmé, ma pommette gauche éraflée au même titre que mes bras, elle aussi...

― Angel..., appelai-je doucement, plaintivement.

Je n'avais pas encore réouvert les yeux et je n'osai le faire, comme si les ouvrir rendrait la douleur plus réelle... le cauchemar plus palpable...

Comme je l'avais escompté, Morgan réagit à ma caresse. Dans mon état de semi-conscience, je le sentis se retourner pour me faire face.
La pénombre était-elle que je ne distinguai que les contours de son visage. Je n'aurais su dire s'il était encore endormi ou non...

Je glissai à nouveau dans les bras de Morphée lorsque mon prénom résonna doucement, me forçant à ré-ouvrir les paupières.
Quelque chose dans la voix de Morgan avait allumé une sonnette d'alarme dans mon esprit, m'éveillant un peu plus.

― Oui...? soufflai-je à mon tour, ne sachant ce qu'il attendait de moi.

C'était idiot mais, à présent qu'Angel attendait que je m'exprime, je restais sans voix : que demander ? Un câlin ? J'avais trop mal pour cela ! Pourtant, j'avais besoin de mon Ange, de sa présence, sa chaleur ― la seule chose, après un sort, capable de me soulager !

J'avançai doucement mon bras retourné, prenant garde à ne pas effleurer mes écorchure contre le drap, et entrelaçai délicatement mes doigts à ceux d'Angel. Il fallait seulement que la douleur se calme assez pour que je puisse aller en cours et faire semblant que j'allais bien ; et ça irait...

...mais combien de temps avais-je avant que la journée ne commence ?

Rien que réfléchir me faisait encore plus mal ― alors j'arrêtai : la seule chose que je désirais était arrêter de souffrir...

Je laissai Morgan entrelacer nos doigts. Si ce geste suffisait à le rassurer, je n'en demandais pas plus.

― Je t"aime aussi, murmurai-je, contre ses lèvres avant d'y déposer une légère caresse.

Il nous restait encore quelques heures de sommeil et je comptais bien ne pas les gaspiller. Nous aurions tout le temps nécessaire pour discuter une fois bien réveillés.

Avec la douceur que je lui connaissais ― que je recherchais, qui me comblait ― Angel effleura tendrement mes lèvres :

― Je t'aime aussi.

Mon coeur fondit : Angel avait compris au delà des mots, au delà des gestes, au delà de mon besoin de lui ― je l'aimais. Dans la souffrance, il était celui vers lequel je me tournais.

Je fermai les yeux et, tant bien que mal, finis par sombrer dans un sommeil léger, teinté de douleur...

Je me frottai le visage des deux mains, tentant de chasser les dernières miettes de cette affreuse nuit. Je sortais tout juste d'un sommeil peuplé de mauvais rêves. Je n'avais aucun souvenir de ce que j'avais vécu durant ma nuit mais j'avais cette sensation de malaise qui ne me quittait pas.

Encore dans les vapeurs de ma mauvaise nuit, je cherchai Morgan. J'avais besoin de sa chaleur, de son corps blotti contre moi, de nos réveils câlins, de nos caresses volées sous les vêtements, de nos baisers, de son amour, de lui…

J'ouvris péniblement les yeux et restai à l’observer. Lui qui, pour une des rares fois depuis que nous partagions nos nuits, ne me tournait pas le dos. Nous nous faisions face, nos visages à quelques centimètres l’un de l’autre.

― Morgan...? murmurai-je tout bas, avant de déposer une caresse sur ses lèvres.

Étais-je toujours endormi ? La pénombre nous envahissait encore mais je distinguai ses traits : son visage abimé, meurtri, lacéré.

Je refermai mes paupières, tentant d’échapper à la vue de son visage tout éraflé.

« Morgan, est-ce que je rêve encore ? » l’interrogeai-je.

Question rhétorique. Comment pouvait-il me répondre alors qu’il me semblait n’être qu’une illusion. Une manifestation de l’une de mes plus grandes hantises : Morgan blessé ; Morgan vulnérable ; Morgan en danger ; Morgan que je n’avais pas pu protéger, de moi, des autres mais surtout de moi…

Étais-ce moi qui lui avait fais cela ? Il ne m’en fallu pas plus pour me culpabiliser davantage. Je refermai les yeux n'osant plus voir. Je devais juste être patient, attendre de me réveiller réellement.

« Ce n’est qu’un mauvais rêve », me répétai-je.

Douce caresse sur mes lèvres... douce caresse pour apaiser le feu qui me brûlait ; douce caresse pour me réveiller, tel le Beau au Bois Dormant.

― Mhh ? soupirai-je, à peine audible, mon esprit encore accroché aux ombres de la nuit : j'avais fini par laisser le sommeil m'accaparer même si, à présent Angel, amant ultrament possessif, me reprenait des bras de Morphée...

― Morgan, l'entendis-je souffler tout bas, sa voix étrangement teintée. Est-ce que je rêve encore ?

Rêver...? Rêver de quoi...?

Je fis l'effort d'ouvrir les yeux, battant péniblement des paupières, n'osant pas bouger, de peur de raviver mes douleurs.

― Anhgel...? appelai-je, ma voix rauque manquant d'un trop peu de sommeil.

Sa voix, basse, endormie, m'appela doucement mais je n'osai le regarder : voir ses traits abîmés était au-delà de mes forces ; j'attendais seulement de me réveiller. De préférence, de suite.

― Ehsse que ça vah...?

Je ferme davantage les paupières, pour retenir les larmes que je sens monter : ce n'est pas moi qui suis blessé et, pourtant, c'est lui qui me demande si je vais bien. Cherchez l'erreur. Ma culpabilité se décuple.

― Je suis désolé, m'excusai-je, mon coeur se serrant douloureusement. Je suis si désolé, Morgan, pardonne-moi. Pardonne-moi.

Mon regard se teinte d'incompréhension :

― What forhe, Ahngel ?

J'avançai précautionneusement ma main vers la sienne pour enlacer à nouveau nos doigts, cherchant son contact, sa chaleur. Je fermai alors les yeux, espérant me réfugier dans le sommeil avant que la douleur ne réapparaisse...

...je savais, pourtant, que je devais aller en cours. Me lever. Faire semblant. Rendre compte à Lord Witherby.

Je me sentis pâlir, défaillir.

« Ahngel... cahn yhou please get me myh Gemhinih ? » le priai-je dans un souffle.

Alors que je pensais réellement n’être que dans un mauvais rêve, les mots de Morgan, aussi mâchés et anglais soient-ils, achevèrent de me faire prendre conscience avec la réalité : j'étais bien réveillé. Nous étions bien réveillés. Pour qu'elle obscure raison, si ce n'était pour rendre compte à son Lord, Morgan désirait-il son Gémeau ? Qui avait-il de si urgent qui ne puisse attendre que nous ayons partagé notre câlin du matin ?

A chacune de ses expéditions, Morgan s'entretenait avec son tuteur. Que c'était-il passé la veille lors de son entrevue avec la gargouille ? Pourquoi était-il si pressé d'écrire dans son carnet ? Que me cachait-il que je ne tarderai pas à découvrir ?

Sans précipiter mes mouvements, sans détacher nos mains jointes, je me retournai pour allumer la lampe de chevet et quand je fis, de nouveau, face à Morgan, je ne pus que constater l'évidence. Je n'avais pas rêvé les meurtrissures sur son visage.

C'est alors que je compris ; que je saisi ; que je pris sur moi pour ne pas angoisser Morgan davantage qu'il ne devait l’être... Ne pas lui faire ressentir mon stress ou ma peur grandissante ; ne pas laisser couler mes larmes - que je sois ou non responsable de son état --

Bien que le fait qu'il réclame son Gémeau, me désignait assurément le coupable :

― Je le savais que ton Lord Witherby .... -- malgré ma bonne volonté, je ne pouvais rester de marbre en voyant celui que j'aimais dans un tel état, le visage éraflé. Que me cachait-il encore ?

Incapable de finir ma phrase, tant la colère que je sentais monter en moi, risquait de faire davantage de mal que de bien à Morgan, je découvris son corps et ne pu que constater l'étendue de ses blessures.

"Mon Dieu, Morgan..." murmurai-je, choqué. "Pourquoi ne m'as-tu rien dit ?"

Empreinte de peine, d'angoisse et de colère, la voix d'Angel déchira mon coeur tel un papier de soie :

― Mon Dieu, Morgan... Pourquoi ne m'as-tu rien dit ?

Je me mordis aussitôt la lèvre inférieure : parce que je me doutais que tu t'affolerais, que tu me chapitrerais... parce que j'avais peur ! Accaparé par la douleur et mon besoin de sa chaleur, j'avais seulement, brièvement, oublié qu'il réagirait de la sorte.

Culpabilité. A quoi cela m'avait-il servi de retarder le moment où Angel apprendrait ― verrait ― ce qui m'était arrivé ?

Je baissai les yeux, honteux de mon comportement si peu honnête.

― Je suis désolé, m'excusai-je.

Que pouvais-je dire d'autre ? L'esprit embrumé par la douleur, je ne voyais pas...

...d'autant que je l'étais réellement, désolé : désolé de l'angoisser, désolé de le mettre en colère, désolé d'avoir été incapable de me défendre contre la gargouille, désolé de devoir apprendre à Lord Witherby les aboutissants de ma rencontre avec cette dernière...

..tout simplement désolé. Pour tout.

La situation n'aurait pas été si dramatique, j'aurais ri en entendant Morgan s'excuser.

Dans mon esprit, toutes sortes de pensées affluaient :
Son Lord, que je détestais encore plus qu'avant, s'il m'était permis de le détester davantage ; moi, que je maudissais de n'avoir rien vu ; Morgan et son silence que je ne comprenais pas... ; mon amour et ma dévotion pour lui, lesquels me donnaient la force de déplacer des montagnes ; mon incapacité à remonter le temps, afin d'éviter ce qui était arrivé...

Mais que s'était-il passé ?

Je trouvai plus sage de reporter l'interrogatoire. L'urgence allait à Morgan, blessé, meurtri, égratigné, fragilisé...

― Tu es... désolé ? répétai-je, sonné.

De nous deux, ce n'était certainement pas à lui de l’être. Comment ne pouvais-je pas me sentir coupable de ne rien avoir décelé plus tot ? Comment n'avais-je pas déjà compris hier soir, en le sachant si silencieux, si peu lui ?

"C'est moi, qui le suis, Morgan", m'excusai-je en l'embrassant délicatement.

Je n'osai me détacher de ses lèvres, tentant par mes baisers, de lui conter combien je l'étais, désolé. Je n'osai pas le prendre dans mes bras, au risque de le blesser davantage. Mon coeur se serra douloureusement. J'avais failli à ma tâche. Je n'avais pas su le protéger.

"Pardon, Morgan. Pardon de ne pas avoir saisi que tu n'allais pas bien. Pardon de ne pas avoir su...", réussis-je à dire avant de sentir ma voix se briser. Les larmes, elles, coulaient sans que je ne puisse les retenir.

Angel ne sembla pas se satisfaire de mes excuses et, la voix teintée de choc et d'incrédulité mêlés, il répéta :

― Tu es... désolé ?

Plus que je ne pouvais l'exprimer ― mais malgré la force de mon désir, jamais mais je ne pourrais revenir en arrière, lui révéler ce qu'il m'était arrivé au lieu de me taire ; jamais je ne pourrais effacer ce douloureux épisode avec la gargouille, le réécrire à mon avantage...

Je sentais les larmes affleuraient mes yeux ― j'étais si mal, si épuisé, si découragé, que je n'avais la force de plus rien faire si ce n'était me laisser aller à la souffrance et au regret...

...que m'exposer de façon aussi sans défense était secondaire.

Et puis, le miracle fut : Angel déposa ses lèvres sur les miennes et initia un premier tendre baiser...

Je n'entendis pas ce qui suivit : tout à coup avide de sa bouche si charnelle, je me repaissais de ces délicieuses caresses comme un désespéré ; j'avais besoin d'Angel, là, tout de suite, sans attendre ! Besoin de ses bras autour de moi, de cet amour dont il me nourrissait depuis le premier jour !

― Serre-moi, demandai-je, tremblant. Serre-moi fort, ne me lâche pas ; réchauffe-moi, embrasse-moi, aime-moi.

Dans ses bras, j'en étais persuadé, j'irai mieux...

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