Be not afraid of greatness...

« Morgan Le Fay, avait écrit Lord Witherby d'une plume qui ne laissait pas de doute quand au ton qu'il usait. Le temps nous est compté, vous est compté ― alors allez voir la gargouille dans les plus brefs délais et exigez qu'elle revoie son verdict. »

Comme si je pouvais changer l'avis de cette foutue gargouille de pierre. J'avais éludé le plus longtemps possible mais le notaire se fâchant, je m'étais enfin décidé à retrouver la statue de pierre...

― Ne crains pas, ne crains pas ! me fit Loulou lorsque je m'approchai.

Je m'arrêtai quelques secondes près de sa cage... des mots de réconfort ou ceux de Bill* ?

― Je tâcherai de m'en rappeler, lui dis-je en passant le doigt à travers les barreaux pour le caresser un instant. Je te revois tout à l'heure, Loulou, j'ai à faire, là de suite... okay ?

Loulou hocha la tête, comme pour acquiescer.

Je poursuivis donc mon chemin jusqu'au bout du labyrinthe.

― Morgan Le Fay, m'accueillit la gargouille en relevant la tête vers moi.

― Vous ne vous trompez plus, remarquai-je. Plus de Mordred...

La statue resta de marbre.

― Vous êtes la même personne, persista-t-elle sans émotion particulière dans la voix.

Je serrai la mâchoire.

« Que veux-tu ? » s'enquit-il.

Ne crains pas, me rappelai-je les propos de Loulou. Shakespeare, Nuit de Rois...

― Certains hommes naissent grands, commençai-je. Certains atteignent la grandeur ; et certains deviennent des hommes grands** ― je ne crains pas d'avoir le sang souillé car je peux atteindre la grandeur. La naissance ne compte pas, seulement les actes...

La gargouille me regarda sans faire de commentaire ― apparemment, elle ne partageait pas cet avis.

Je soupirai.

― Revoyez votre verdict, me résignai-je à exiger, reprenant les mots de Lord Witherby. Si vous êtes éveillé, c'est que vous avez forcément fait une erreur...

* Bill, diminutif de William
** "Be not afraid of greatness: some are born great, some achieve greatness, and
some have greatness thrust upon 'em." Twelfth Night (II, v, 156-159)

La gargouille m'observa un moment de ses traits de pierre, impassible, immobile, ses yeux rouges rivés à mes prunelles bleues.

Puis elle se jeta sur moi.

Panique : retombant en arrière sous le poids de l'énorme statue, ma tête heurta le sol et j'eus aussitôt le souffle coupé. Sonné, j'eus à peine le réflexe de me débattre, mes mains s'écharpant sur les écailles de pierre. Peut-être aurais-je crié si la gargouille ne s'était lâché sur ma gorge ― mais ses crocs s'enfonçant dans ma chair, je me sentais rapidement partir, incapable de me dégager, de résister, d'user de Magie pour se faire ! J'étais trop faible ; trop effrayé !

Mais la gargouille me relâcha tout à coup et regagna sa place sur son piédestal, son corps tout entier flamboyant d'un rouge grenat :

― Repasse me voir dans six nouvelles lunes, m'ordonna-t-elle.

J'étais trop choqué pour réagir. Tremblant, je me levai avec peine avec une seule idée : retrouver Angel au plus vite...

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