Rencontre dans le jardin intérieur

Cela faisait quatre jours que je n'avais revu Angel ― quatre jours depuis cette nuit où je l'avais embrassé, par jeu, par provocation, par amitié, et qu'il avait mal réagi, essayant d'abord de me mettre à la porte avant de m'accuser de ne faire que l'embrasser pour, au final, me dire que mon second baiser était précisément ce qu'il avait essayé d'éviter. A l'évidence, il ignorait ce qu'il désirait et j'avais pensé, en sortant de sa chambre, qu'il ferait tout pour m'éviter : il n'avait pas même daigné répondre à mon « bonne nuit ».

Peut-être le faisait-il ― m'éviter ― mais je n'aurais été capable de le dire : j'étais trop affairé à éviter moi-même le jeune homme...

Détrompez-vous, je n'étais ni vexé ni blessé par son comportement ― je n'avais que faire d'Angel, de ses moments d'égarement homophobe, de ce qu'il essayait d'éviter ; j'étais seulement trop fier pour être une personne évitée ― alors, je préférais l'éviter moi-même.

Par ailleurs, j'avais autre chose à faire qu'aller à sa recherche : je faisais encore le tour du château ― à défaut du parc, trempé par une pluie battante ― pour le notaire. Aujourd'hui, je visitais le jardin intérieur, un lieu verdoyant, empli de plantes exotiques qui en vaudrait le détour même si je ne trouvais rien ―

Ow !

Alors que je descendais les escaliers en fer forgé, un autre élève m'était rentré dedans. Je devais avoué que, la tête baissée, à la recherche de mon carnet et d'un crayon dans ma sacoche, je ne l'avais pas remarqué ― mais ce n'était pas ses affaires qui s'étaient échappées de son sac pour s'éparpiller au sol, en bas des marches.

― Merde, fit le garçon qui m'était rentré dedans. Désolé...

Je le gratifié d'un regard noir ― désolé ou pas, je détestais ce genre de maladresses.

― Whatever, grommelai-je.

Je ne laissai pas le temps au jeune homme de répondre : serrant les dents, je descendis les marches du grand escaliers, découvrant assis sur le rebord d'une fontaine gardée par des grenouilles, Angel, tranquillement assis. Merveilleux ― j'allais devoir m'abaisser à ramasser mes affaires devant lui ― décidément, ce n'était pas mon jour de chance...

Je posai un genou récalcitrant à terre, saisissant mon appareil à photo. Une pression sur le bouton d'allumage n'eut aucune réaction. Cassé. Devais-je m'étonner...? Tout semblait contre moi, aujourd'hui.

Le professeur Jonsi nous avait donné diverses plantes à étudier pour en connaitre les vertus. Le travail se faisait en binôme et malgré ma crainte ou mon espérance de tomber avec Morgan, le tirage au sort m'avait attribué Erwan.

Je ne savais vraiment pas si je devais m'en réjouir ou en pleurer ...

Cela faisait quatre jours que je ne l'avais pas revu. J'étais à la fois heureux de son "silence", même forcé et contraint, et peiné qu'il ne cherche pas plus que ça à reprendre contact avec moi.

C'était comme si Morgan avait déserté Brocéliande. Comme si je n'avais fais que l'imaginer et fantasmer sur un baiser fictif.

J'étais ... déboussolé, perdu, impatient et d'humeur toujours plus exécrable à mesure que les jours passaient. Ces dernières heures n'avaient fait que renforcer mon mal-être. J'étais encore plus perdu que le jour de mon arrivée ...

A chaque porte qui s'ouvrait, je sursautais. A chaque pas qui résonnait dans le couloir des dortoirs je tendais l'oreille. Dans les salles de cours, même si je ne cherchais pas sa silhouette parmi les autres, je pensais au moins l'apercevoir, entrer, sortir ou assis quelque part ... mais non. Nulle trace de lui nulle part. A croire qu'il m'évitait alors que moi, même si je ne recherchais pas la confrontation directe, je ne cherchais pas à faire comme s'il ne s'était rien passé ...

Je terminais de mettre mes notes au propre, assis sur un des rebords de la fontaine quand un bruit sourd retentit. Levant les yeux vers les escaliers que venait d'emprunter Erwan, j’aperçus des objets au sol et en remontant vers le haut des marches, je sentis un filet glacé couler le long de ma colonne vertébrale.

Morgan !

Je fis comme si je ne l'avais pas remarqué et reportai mon attention sur mon carnet. Je l'entendis plus que je ne le vis descendre les marches. Mais quand il vint s'agenouiller à quelques pas de moi, je ne pouvais plus faire comme si je ne l'avais pas vu ...

J'eus de la peine pour lui. Son appareil photo semblait mal en point et je savais qu'il lui était précieux.

Je soupirai comme l'autre soir et ne réfléchis pas avant de m'avancer vers lui. En trois enjambées, je me fus assez rapproché sans pour autant empiéter sur son espace personnel.

― Je peux t'aider en quelque chose ? proposai-je tout simplement à ce Morgan agenouillé.

Soit il m'envoie paître. Soit ....

Il faudrait que j'aille voir Wolfe, me fis-je la remarque. Il arrivait que M. Hikes, l'homme à tout à Westminster, réparât certaines choses pour les élèves... J'espérais qu'il en serait de même avec le 'loup' de Brocéliande.

Alors que je rangeai l'appareil à photo dans mon sac, je vis Angel se lever ― ses jambes, pour être précis, car je gardais la tête résolument baissée, les yeux braqués au sol. Apparemment, il avait décidé d'arrêter m'ignorer et de me montrer à quel point lui aussi n'avait que faire de moi en m'enjambant alors que je ramassais mes affaires ― le genre de choses que j'aurais probablement fait avec Haiko tant il était insignifiant ; était-ce ce qu'il désirait me montrer...?

Je serrai davantage la mâchoire.

Mais Angel ne m'enjamba pas ― je vis le bout de ses chaussures s'arrêter près de moi. Finalement, il avait décidé de venir me narguer de plus près. Je crois que je préférais encore lorsqu'il m'ignorait... mais s'il voulait jouer à ces petits jeux stupides, je pouvais moi aussi y jouer ― d'ailleurs, j'avais sur le bout de la langue une réplique cinglante que je m'apprêtais à lui servir...

― Je peux t'aider en quelque chose ? demanda-t-il avant que je ne puisse me lancer.

Sa voix était douce, sans provocation, me désarçonnant aussitôt ― aussi, je restai un moment sans savoir que répondre : le rembarrer ne me semblait plus approprié mais accepter sa proposition meurtrissait mon égo, ma fierté ― car je me sentais mis à mal, agenouillé devant lui, alors qu'il me dominait de toute sa taille... un complexe de noble : ne jamais dépasser le maître...

Mais Angel aussi venait d'une famille aisée et il me proposait son aide alors que, je n'en doutais pas, lui aussi devait avoir des domestiques pour ramasser ses affaires... s'il faisait un effort, je pouvais moi aussi un faire un...

― Il me manque un crayon, dis-je en m'emparant des deux autres ― HB et 2H. Le 2B. Si tu le vois...

Je savais très bien que ma question avait été entendue. Je m'attendais à une cinglante répartie mais pas à ce silence glacial.

Si à dix tu continues à m'ignorer, j'en ferais de même ... Message reçu Morgan ! Un, deux, trois, quatre ...

― Il me manque un crayon; Le 2B. Si tu le vois...

S'il-te-plait mon chien .... Merci ...

Je laissai un sourire animer mes lèvres, chose qu'il ne pouvait pas voir de sa position. J'observai les alentours et tombai sur l''objet perdu, attendant qu'une main secourable vienne le chercher, sur la marche en fer forgé.

Alors que j'aurai pu contourner Morgan, je préférai l'enjamber, en prenant soin , toutefois, de ne pas l’assommer au passage. J'entamai la remontée de l'escalier toujours silencieux mais animé d'une assurance nouvelle ...

Mother fucker ― il avait osé m'enjamber ― cela m'apprendrait à faire confiance.

Je rageai contre Angel ― rageait si furieusement que chaque cellule de mon corps s'était embrasée, brûlant ardemment ; et peut-être aurais-je lancé ma remarque cinglante si je n'écumais pas contre ma propre personne ― ma bêtise !

Je finis de ramasser mes affaires, les fourrai plus que ne les rangeai dans mon sac et me relevai.

Je me penchai à mi hauteur de l'escalier et attrapai le 2B. Par chance la mine n'avait pas subit de dommage.

Je refis le chemin inverse et arrivé en bas des marches, me retrouvai face à un Morgan relevé au regard noir de rage. Je levai ma main à hauteur de ses yeux.

― Ton 2B ? demandai-je même si je savais pertinemment que c'était bien le sien ...

― Tu ferais un excellent joueur de poker, fis-je alors qu'il me tendait mon crayon. Je pourrais presque croire que tu veux réellement me le rendre... mais tu peux le garder ― finder's, keeper's.

Fool me once, shame on you; fool me twice, shame on me ― et cela n'arriverait pas. Il serait capable de me planter mon propre crayon en plein coeur alors que je lèverais la main pour le reprendre...

― Ça t'amuses de me prendre pour ton toutou obéissant ? Je te demande si je peux aider, tu me dis de chercher ton 2B. Je le retrouve et te le rapporte et voilà que Monsieur n'en veut plus ?! Va te faire voir Morgan LeFay ! lui lançai-je emporté par une colère grandissante.

Mais quel imbécile j'avais été de penser que les choses allaient peut-être s'arranger. Autant parler à un mur ...

Je lâchai le crayon qui tomba aux pieds de Morgan et sans attendre de voir s'il se baissait pour le ramasser, je repris l'ascension des marches.

S'il y avait une chose que je semblais avoir, contrairement à Angel, c'était la maîtrise de mes émotions : j'avais beau être enragé, je n'explosais pas comme il venait de le faire ― mais peut-être était-ce un rôle ; une façon de me faire passer pour le méchant...

J'étais dégoûté ― dégoûté par son comportement, dégoûté par ma bêtise. Si j'avais essayé de l'éviter ces quatre jours, je ferais doublement attention à présent ― je n'avais pas besoin de me faire remarquer avec un antagonisme de la sorte ; Witherby n'approuverait pas.

Aussi, j'attendis un bon quart d'heure après qu'Angel ait quitté le jardin pour sortir moi aussi... avec l'espoir de trouver M. Wolfe et de le convaincre de m'aider avec mon appareil !

Le crayon, évidemment, resta là où Angel l'avait fait tomber...

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