2B or not 2B ... That is the question !

Ridicule !

Je ne trouvais pas d'autres mots pour exprimer la situation. Je faisais les cent pas sur le marbre du couloir allant et venant, m’arrêtant, repartant et ceci inlassablement depuis au moins une bonne dizaine de minutes.

Par chance je n'avais croisé aucun des résidents de l'étage des garçons, lesquels auraient souri ou pire, se serraient moqué de me voir faire des allers et retours devant une porte, une dizaine de papiers crayons à la main.

Je n'avais pas trouvé autre chose que ce "calumet de la paix" à lui apporter. Je ne savais pas s'il m'ouvrirait la porte. Ne sachant pas s'il désirait ne serait-ce que m'adresser de nouveau la parole. Notre dernière entrevue, remontant à l'après-midi n'avait pas eu la conclusion que j'avais espéré et je me sentais un peu responsable.

Beaucoup même.

Après l'avoir laissé avec sa rage dans le jardin intérieur, j'étais allé prendre une douche brulante laquelle avait eu l'effet escompté. J'étais ressorti moins tendu et plus à même de revivre nos derniers instants. J'avais compris que le fait de l'enjamber avait été l'élément déclencheur de sa colère. J'étais le seul à blâmer pour cela. La situation aurait été inversée, j'aurais eu la même réaction que lui. Voire pire ...

Il méritait des excuses pour mon geste insolent et je devais bien m'avouer que les deux minutes pendant lesquelles j'avais cherché son 2B, je m'étais de nouveau senti existant à ses yeux. Malheureusement mon mauvais caractère m'avait de nouveau desservi.

Comme souvent ...

Morgan avait su venir me trouver quand il avait senti que je n'allais pas bien, j'en ferai de même ... quite à ravaler ma fierté et à me faire rembarrer sur le seuil de sa porte de chambre.

J'aurais au moins essayé !

Las de tergiverser, je pris mon courage à deux mains et tapai trois coups sur le bois de la chambre 456.

Plus qu'à attendre ...

Mis à part les plantes, poursuivais-je d'écrire dans mon Gémeau, une fontaine a attiré mon attention. Un fontaine gardée par des grenouilles, comme vous pouvez le constater sur les images...

Je m'arrêtai un instant pour transférer les dessins et les photos sur la page d'à côté (j'avais trouvé M. Wolfe dans un couloir de l'administration et il m'avait réparé mon appareil en quelques secondes, me le rendant presque comme neuf). Ces premiers n'avaient pas eu la qualité des précédents car, même revenu au jardin intérieur ― ce qui m'avait coûté, au passage ― je m'étais refuser de ramasser ce crayon 2B. Crayon de l'abaissement le plus total.

Je rageai encore contre Angel et davantage contre moi-même ; le feu n'était peut-être plus un brasero mais il couvait, incandescent, sous la paille...

...et je devais garder cela pour moi. Witherby n'aurait pas compris ; il m'aurait même peut-être retiré les affaires qu'ils m'avaient confié : si je ne pouvais gérer mes relations sociales, comment pourrais-je m'occuper d'autres choses ?

Trois coups contre la porte m'arrachèrent à mes pensées. Sans doute Haiko, me dis-je ― il avait pris l'habitude de frapper avant d'entrer. Par respect pour mon intimité ou crainte de ma personne, je l'ignorais ― mais cela ne faisait aucune différence.

La porte, cependant, ne s'ouvrit pas ― à l'évidence, ce n'était pas Haiko...

Mais alors, qui ?

Le temps de refermer le Gémaux, je me levai de ma chaise et allais ouvrir le battant... pour me retrouver devant Angel.

Surprise. Et pas des meilleures ― me narguer jusque dans ma chambre, c'était osé.

― Qu'est-ce que je peux faire pour toi, Angel ? demandai-je toutefois.

Pour la forme, plus qu'autre chose ― Witherby aurait approuvé.

Merci l'accueil glacial ! Mais bon, j'avais plus envisagé cette possibilité qu'un Morgan me sautant dans les bras ... Éludant sa question, je récitai les mots que j'avais répété une centaine de fois le temps de mes va-et-vient.

― Je t'aurais bien apporté ton dessert préféré mais comme je n'ai absolument aucune idée de tes préférences ... sucrées, je me suis dis que des 2B feraient tout aussi bien l'affaire, lançai-je d'une traître avant qu'il n'ait le temps de me refermer le battant au nez.

Je repris mon souffle et en fixant ses prunelles encore assombries par sa colère de l'après-midi, je rajoutai:

" Je suis désolé Morgan ..."

Voilà. Je l'avais dis. Je n'étais pas aussi soulagé que je l'espérais mais je me sentais un poids en moins sur les épaules ...

Des crayons 2B au lieu de dessert... c'était... mignon, je devais bien l'avouer, et, quelque part, flatteur de voir qu'il était passé me voir avec des excuses... mais pouvais-je lui faire confiance ? Je m'étais retrouvé enjambé, tout à l'heure, parce que j'avais baissé ma garde ― et cela faisait mal. Très mal.

― Le chocolat, finis-je par dire...

...en fondant, en mousse, en sauce, en pâtisserie, nature, au lait, aux noix, aux fruits : je n'étais pas très compliqué.

J'ouvris davantage la porte et m'écarter pour le laisser entrer, bien conscient que si il me blessait à nouveau, je n'aurais que moi à blâmer ― fool me once, shame on you ; fool me twice... shame on me.

Chocolat ...

Je notai mentalement cette information. Elle ne serait pas dure à retenir. J'avais la même préférence. Cela nous faisait au moins un point en commun ! J'avais espoir d'en trouver d'autres ...

Morgan sembla affecté par mon bouquet de crayons papiers. A moins que cela ne soit du à mes demies excuses. Ou les deux .... Quoiqu'il en soit, il me laissa entrer en ouvrant le passage tout comme je l'avais fait quelques jours plus tôt.

La seule et notable différence était que nos rapports n'avaient plus la même légèreté et que cet espace réduit ne faciliterait pas le confort idéal pour la discussion que nous devions obligatoirement avoir. Il nous fallait mettre carte sur table et le plus tôt serait le mieux. J'avais eu quatre jours pour penser et réfléchir à ce que je voulais et désirais et je ne m'en irais pas de cette chambre avant de les lui avoir avouées.

Après, libre à lui de me jeter dehors par la peau du cou. Mais vu qu'il avait été et par deux fois l'instigateur de nos baisers, je doutais qu'il le fasse .... Sauf si cela n'avait été qu'un jeu pour lui, une façon cruelle de me tester, de voir jusqu'où il pouvait m’entraîner ...

Mon sang se glaça. Et si j'avais tout mal interprété ? Je refusais de croire à cette éventualité. Il avait réellement paru sincère dans ses propos. Aussi perdu que moi avait-il précisé alors. Deuxième point commun ... Je souris malgré moi de cette constatation.

Je m'appuyai contre le mur en face du premier lit. Il est vrai que Morgan avait un camarade de chambre, Haiko, que je n'avais pas revu depuis notre dernière rencontre au jardin des nains. Je réalisai soudain que j'avais toujours les 2B en main et me dirigeai vers le bureau le plus proche pour les y déposer . Il était si bien rangé que je doutai qu'on l'ait utilisé ne serait-ce qu'une fois. Personnellement, j'étais plus du genre bordélique organisé mais je m'y retrouvais et c'était là l'essentiel selon moi.

Je repris place contre le mur en croisant mes bras dans le dos. J'attendais que Morgan prenne place sur son lit, sa chaise de bureau, où il voulait, cela importait peu. Le principal était qu'il écoute ce que je voulais lui dire.

La porte se referma.

Je ne pouvais plus reculer ...

Angel entra dans la pièce, prenant note de toutes sorte de détails, comme je l'avais fait moi-même en pénétrant dans sa chambre ― les quelques affaires personnelles qui traînaient dehors (Haiko et moi avions un sens de l'organisation aiguisé ― c'était une chose que je devais lui reconnaître) : un parapluie de mon côté (Oh so British, que voulez-vous) et, sur mon bureau, mon Gémeau, mon carnet de croquis et l'appareil à photo en plus d'un stylo plume ; Haiko, de son côté... En fait, Haiko n'avait rien laissé traîner ― à croire que je ne partageais ma chambre avec personne ! Si seulement il pouvait être aussi invisible et absent que son bordel...!

Je sortis de mes réflexions en remarquant tout à coup qu'Angel déposait les crayons qu'il m'avait apportés sur le mauvais bureau ― la table de travail la plus proche, à vrai dire. Je ne fis aucune remarque mais pris note de les récupérer après ― je n'avais aucun désir de voir Haiko croire qu'Angel lui avait offert des crayons ― mes crayons !

Angel finit par s'adosser au mur, bras croisés derrière le dos. Il semblait attendre... m'attendre. Je réalisai tout à coup que je n'avais fait que l'observer, oubliant même de refermer la porte... ce que je fis donc.

J'allais alors m'asseoir sur la chaise de mon bureau ― loin des crayons ― et attendis qu'il prît la parole...

En le voyant passer devant moi, silencieux et fier dans sa démarche, je réalisai que toutes les questions et tous les mots que je voulais lui dire ne serviraient à rien ...

Je devais jouer selon ses propres règles.

J'attendis qu'il se pose. Il opta pour une chaise - celle de son bureau, supposai-je en y découvrant divers objets - l'autre bureau, le plus éloigné de moi, celui où par manque de chance, je n'avais pas déposé les 2B.

Il n'avait pas ouvert la bouche depuis son dernier mot " chocolat" et sa mine fermée m'amenait à penser qu'il s'attendait à ce que ce soit moi qui ouvre le bal.

Confiant, je me détachai du mur, repris les crayons et me dirigeai, cette fois, vers le bon bureau. Je déposai les 2B près d'un étrange carnet et me retournai vers Morgan, lequel n'avait pas esquissé un mouvement en me voyant me rapprocher.

Une vraie gargouille ! me moquai-je intérieurement.

Je me penchai à hauteur de son visage, le lui attrapai en coupe et déposai un rapide baiser sur ses lèvres.

― Bonne nuit Morgan, murmurai-je.

Tout cela s'était passé si rapidement que même moi, me surprit par mon audace. Audace plus parlante qu'un million de mots. Je me redressai et sans attendre sa réaction, traversai la chambre en direction de la porte.

...mais Angel resta muet, ses yeux bruns aux éclats dorés m'observant avec intensité. Une intensité impénétrable qui me laissait complètement perplexe quant à ce qu'il désirait en cet instant précis.

Il finit par se détacher du mur et repartit vers la porte. Je serrai les mâchoires ― twice ! Je l'avais cherché ― croire en ses excuses alors qu'il m'avait déjà prouvé dans le jardin qu'il pouvait me parler d'une voix douce et prévenante pour mieux me rabaisser après ―

Mais Angel dépassa la porte sans sortir et je me retrouvais complètement désarçonné ― que faisait-il...? C'est alors que je le vis tendre la main et se saisir des crayons...

...pour les reprendre ?

Je me méfiais ― et ce ne pouvait être plus que de raison ! Witherby l'avait toujours dis...

Angel dépassa à nouveau la porte sans sortir, s'approcha de moi. Je ne bougeais pas, me demandant encore ce qu'il désirait... dans ma poitrine, mon coeur s'était mis, sans raison, à battre plus fort.

Les crayons furent déposés sur la table ― à côté du Gémeau ― et j'arrêtai de respirer, espérant qu'il ne le remarquerait pas ― pas réellement. Il ne fit, en tout cas, aucun commentaire, se tournant alors vers moi.

Je n'aurais pas dû m'asseoir à ma chaise ; j'aurais dû m'appuyer sur le rebord du bureau, ainsi je ne me retrouverais pas ― encore ― dominé par le jeune homme. D'ailleurs, s'il restait encore aussi près de moi, je me lèverai.

Je ne vis pas le coup venir ― Angel m'attrapa le visage en coupe et se pencha avant même que je puisse réagir, déposant un rapide baiser sur mes lèvres. Mon coeur bondit aussitôt ― il rejouait la scène de l'autre soir ; sauf que, cette fois, les rôles étaient inversés.

― Bonne nuit, Morgan, fit-il doucement avant de me relâcher.

Ses longues mèches blondes effleurèrent mes joues alors qu'il se redressait.

― C'est tout ? demandai-je alors qu'il faisait volte-face pour prendre la porte ― réellement cette fois. Tu m'embrasses et... c'est tout ?

Au-delà de l'effet miroir de cette scène, je ne pouvais le laisser partir ainsi ― j'avais besoin de savoir ce que tout cela signifiait.

― C'est tout ? Tu m'embrasses et... c'est tout ?

J'arrivai presque à la porte quand "mes mots, ma surprise et mon incompréhension" retentirent dans mon dos. Les mêmes paroles que j'avais eu. Mais cette fois sorties de la bouche de Morgan.

― A contrario de toi Morgan, je ne rebrousserais pas chemin pour t'embrasser. Même si ... Je ne me permettrais pas de porter de jugement "erroné" sur tes sautes d'humeur, tes manières d'agir avec moi - aussi contradictoires que déstabilisantes - ou tes remarques blessantes.

Je laissai passer quelques secondes pour qu'il assimile ce que je lui confessai.

― Je n'aurai pas avec toi l'attitude stupide que tu as eu avec moi. Je chercherais à comprendre le sens de ta phrase. Je ne me permettrais pas de penser pour toi, et encore moins de me forger des opinions basées sur des idées fausses.

En agissant comme lui, j'avais besoin de lui faire comprendre combien moi aussi j'avais pu être surpris par son premier baiser.

Arroseur, arrosé.

― Et "c'est tout" quoi, Morgan ? lâchai-je plus fort en me retournant vers lui.

Mes sautes d'humeur ? Mes manières d'agir avec lui, mes contradictions, mes remarques blessantes ? Pour inverser les rôles, il avait magnifiquement réussi !

― Je n'aurai pas avec toi l'attitude stupide que tu as eu avec moi, poursuivit-il avec condescendance. Je chercherai à comprendre le sens de ta phrase, je ne me permettrai pas de penser pour toi, et encore moins de me forger des opinions basées sur des idées fausses.

Mes mâchoires se contractèrent ― thrice ! Je méritais vraiment ce qui m'arrivait ! Mais qu'est-ce qui m'avait pris de le faire entrer ? De lui servir sur un plateau d'argent l'occasion de me descendre en flêche ? De me comparer à la perfection de son comportement !

La seule chose que je lui accordais était mon attitude plus que stupide de lui faire confiance ― attitude qu'il n'aurait pas la bêtise d'avoir avec moi. Tout ça pour un baiser volé qu'il avait clairement désiré ― et de cela, personne ne pourrait me convaincre du contraire ― pas lorsqu'il s'était laissé faire, ses lèvres s'écartant pour laisser ma langue entrer caresser la sienne...

― Et "c'est tout" quoi, Morgan ? finit-il son chapitre, se retournant enfin vers moi.

Je hochai négativement la tête, doucement, amèrement.

― Rien..., répondis-je, la désillusion perçant à travers ma voix. Tu as répondu à toutes les questions que j'avais. Et j'ai saisi, cette fois...

J'accusais le coup, obligé de ne pas céder à mes pulsions qui m'ordonnaient de franchir la distance qui nous séparait pour le secouer tel un prunier.

― Tu as "tout" saisi ? Permets-moi d'en douter au vu de ton "rien "... Encore une preuve de ta facilité à croire ce que tu croies qui est... Prends-le comme tu veux Morgan, mais mes intentions en venant te voir ce soir... Laisse tomber, ajoutai-je en me retournant vers la porte, ne comptant plus faire machine arrière, pour ce soir du moins. Je vois même pas pourquoi je cherche à expliquer les choses car tu sembles certain de déjà avoir toutes les réponses.

J'avais mal de partir sur des paroles aussi blessantes, mais j'étais encore plus malheureux qu'il n'ait encore une fois rien compris. Je refermai la porte derrière moi et priai pour ne croiser personne dans les couloirs...

La porte se referma derrière Angel qui n'avait pas résisté ni hésité à en rajouter une dernière couche.
Je n'avait pas réagi ― cela n'aurait servi à rien ― et le jeune homme avait fini par me laisser seul, sans un autre regard.

Je soupirai, las de ses provocations, et me retournai vers ma table de travail ― avant qu'il ne passe, je m'étais penché sur mon Gémeau, m'apprêtais à transférer les images du carnet de croquis et de l'appareil sur ses pages blanches. Mon regard se posa alors sur les crayons qu'il m'avait apportés ― une douzaine de 2B, tous très aiguisés. Un sourire amer effleura mes lèvres : j'étais bien niais pour les avoir acceptés. Je sortis la poubelle de dessous la table et, d'un geste, m'apprêtant à tous les y faire glisser, avant de me raviser au dernier moment ― c'était trop facile ! Alors, à la place, je rangeai la poubelle et ramassai les crayons un à un... pour les déposer sur le bureau d'Haiko ― n'était-ce pas, après tout, le premier endroit où il les avaient mis ? Un signe à n'en pas douter. Si mon camarade me le demandait, je lui dirais la vérité ― qu'Angel les avait déposé sur sa table. Peut-être Haiko irait-il voir de son côté au lieu de me coller...

Revenant à mon bureau, je m'installai et rouvris mon Gémeau pour terminer ma description du jardin intérieur. Entretemps, Witherby avait réagi : Vous êtes distrait, Morgan : les images sont manquantes.

Fuck. Merci Angel...

Je me lançai donc dans un mot d'excuse, évitant soigneusement d'évoquer le jeune homme. De toute façon, nous en avions définitivement terminé.