Visite de la galerie

Je lâchai un rire, paraissant amusé par sa remarque ― ce que j'étais, à vrai dire, vu son hésitation. .. même si elle touchait la vérité du doigt.

Pour autant, je ne me démontai pas : cela m'aurait trahi.

― Et toi ? demandai-je, les yeux pétillants. Que caches-tu donc ?

Il rit suite à ma remarque, mais je sentais que je n'avais peut-être pas tout à fait tort.

― Et toi ? demanda-t-il, le regard brillant d'intérêt. Que caches-tu donc ?
― Euh, je...

Je m'étais piégée moi-même. Que répondre à cela ? Il était vrai que je cachais des choses, mais rien de bien grave. Au final, c'est juste...

― Moi-même... chuchotais-je. Me reprenant, je lui répondis, plus fort. Ecoute, si tu veux bien garder ça pour toi *même si je doutais que ce serait le cas, pensais-je*, je t'avouerais que c'est... moi que je cache. Mais c'est surtout de moi-même que je me cache. Je n'ai pas vraiment de... secrets. Du moins je ne pense pas. Hormis ma vie. Je crois.

J'en avais trop dit, vu la lueur qui brillait dans ses yeux. Mince... Il allait falloir que j'apprenne à me taire.

Je fus surpris par la révélation de Cléophée tant elle était intense et je la dévisageai un instant : la plupart des Nécromant cachaient leur nature mais la jeune fille en avait parlé de telle sorte que, quelque part, cela faisait écho en moi ― le sentiment de devoir cacher le vrai moi, le garçon d'origine modeste, orphelin, très certainement, et prétendre être le fils d'un noble du comté d’Eastborough... Il y avait pire, naturellement ; et au fond, je n'avais aucune réelle certitude sur cela ― jamais Witherby ne m'avait fait sentir que je n'étais rien de moins que précieux ; et en même temps, j'avais des fois l'impression de n'être qu'un simple objet...

― Je ne dirai rien, finis-je par dire.

Cela n'avait pas été mon intention de toute façon ― ç'aurait été comme dévoiler l'as que l'on a en main !

« Quant à mon secret, ajoutai-je plus d'entrain afin d'égayer l'ambiance devenue tout à coup grave, il réside dans le fait que je suis un indécrottable perfectionniste ! »

Pas maladif mais indécrottable. Je lui lançai une oeillade badine.

Je pus lire sa surprise sur son visage. Etait-il étonné que je me sois confiée, ou était-ce pour une autre raison. Il semblait perdu dans ses pensées...
Mais quand il me déclara qu'il ne dirait rien, je le crus. Du moins je l'espérais vivement. Non pas que cette confidence soit dangereuse si elle venait à se savoir, mais je ne voulais pas que tout le monde sache que j'étais pour le moins... tourmentée.

Sa tentative de détendre l'atmosphère porta ses fruits car je pouffais suite à sa déclaration.

― Non, vraiment ? C'est une chose qui doit être assez problématique quand tu dessines alors.

Je souris. Il était sympathique ce Morgan.

Je hochai les épaules.

― Je n'ai pas un si mauvais coup de crayon donc je ne passe pas des heures à effacer ce que je fais, répondis-je sans essayer de me vanter.

D'ailleurs, je ne me vanter jamais : je formulais les choses telles qu'elles étaient ou telles que je voulais que mes interlocuteurs pensent qu'elles soient.

― Tiens, regarde, dis-je en m'avançant vers un des tableaux. Ça ressemble à la gargouille de ce matin !

En effet : dans un couloir identique à celui que nous avions emprunté la matinée, une femme faisait face à la gargouille aux yeux grenat, semblant lui parler.

Je souris.

― Je n'en doute pas une seconde. Tu as en effet l'air doué pour le dessin. Bien que personnellement je n'y connaisse pas grand chose.

Alors que nous traversions un couloir, il me désigna une des toiles qui se trouvait sur le mur.

― Tiens, regarde, dit-il en s'avançant vers elle. Ça ressemble à la gargouille de ce matin !

Elle lui ressemblait effectivement. La seule différence était que, sur le tableau, une femme se trouvait en face de la gargouille.

― Oui, je suis d'accord. On dirait vraiment la même, et au même endroit. Ce lieu est vraiment particulier...

J'étais d'accord ; il y avait quelque chose de particulier concernant la gargouille... Pour autant, je ne pouvais dire ce que c'était, ce qui m'intriguait, ce qui me titillait ― car j'étais titillé.

― Pose à côté du tableau, que je vous prenne en photo ― ça illustrera l'entrée de mon journal d'aujourd'hui ! dis-je tout à coup en sortant mon appareil ― autre outil que j'emportais toujours avec moi en plus de mon carnet de croquis et un crayon.

Poser ? Il voulait me prendre en photo ? Sidérée, je le dévisageais, puis j’obtempérai. Faisant quelques pas hésitant, je me plaçais à côté de la toile à la gargouille et fixais l'objectif, ne sachant quoi faire d'autre. Ce n'était pas vraiment mon truc...

― Fais attention, j'ignore si les esprits peuvent être visibles sur les photos, tentais-je de plaisanter. Tu pourrais te retrouver avec l'un d'eux immortalisé près de ma tête.

Esquissant un sourire maladroit, je patientais.
Après tout, cela était vrai. Personne ne m'avait jamais prise en photo, alors je n'avais aucune idée de ce que cela faisait sur les esprits. Mais j'étais certaine d'une chose : ils étaient toujours là, avec moi, silencieux ou non.

Cléophée hésita un moment avant de s'approcher du tableau. Elle avait l'air mal à l'aise et, même si je comprenais qu'elle puisse trouver cela étrange, elle semblait plus perturbée par l'objectif que le fait de poser à côté du tableau...

― Fais attention, prévint-elle. J'ignore si les esprits peuvent être visibles sur les photos. Tu pourrais te retrouver avec l'un d'eux immortalisé près de ma tête.

Une plaisanterie pour tenter de se détendre... je souris, lui envoyant une oeillade :

― Plus on est de fous, plus on rit ! lançai avant de prendre trois clichés. Regarde...

Je retournai l'appareil pour les lui montrer.

― Tu es plutôt photogénique ! En revanche, je crains qu'il n'y a pas d'esprit à côté de toi...

...c'était presque dommage ! Je devrais faire sans lorsque je présenterai l'une des photo à Witherby pour lui parler de la Nécromante et de la gargouille...

Je fus intérieurement soulagée de voir que ma tentative de plaisanterie n'était pas tombée à plat.
En quelques instants et quelques gestes, il prit trois photos, qu'il me montra en retournant l'appareil vers moi.

― Tu es plutôt photogénique ! En revanche, je crains qu'il n'y a pas d'esprit à côté de toi..., me dit-il.

Il semblait... déçu que les esprits ne soient pas présents. Étrange... Que cherchait-il donc ?
Je ne dis rien sur ce fait. De toute façon, les esprits ne tarderaient pas à se manifester. Tôt ou tard, ils viendraient me demander des choses. Et Morgan serait peut-être là à ce moment. Je frémis à l'idée d'entendre ces murmures parfois grandement effrayants.

― Moi ? Photogénique ? Tu trouves ? En même temps, personne ne m'a jamais prise en photo, alors je ne peux pas vraiment juger. Mais si tu le dis, je te crois. Cela dit... tout ce bleu, avec mes cheveux et mes yeux, ça doit être assez... Perturbant, non ?

Je haussai les épaules : certes, sa couleur de cheveux attirait le regard et j'avais été surpris ― mais la xénophobie ne faisait pas parti de mes défauts. Et puis, Cléophée avait l'air très humaine, quelle que fût l'espèce à laquelle elle appartenait.

― Pas tellement, répondis-je.

J'éteignis l'appareil à photo et le rangeai dans mon sac.

― Pourquoi ? demandai-je en abaissant le rabat. Tu trouves ta couleur de cheveux perturbante, toi ?

J'avoue que je n'avais eu à me confronter au regard des autres de ce côté là : j'avais toujours été entouré essentiellement d'humains...

― Oh, pas pour moi non, j'y suis habituée. Mais je suppose qu'elle peut être dérangeante pour certains. Comme mes parents par exemple.... Enfin bref, n'en parlons plus. Ce n'est qu'une couleur de cheveux après tout, pas de quoi en faire toute une histoire, non ?

Je tâchais de paraître insouciante, mais cela n'était pas vraiment le cas. Mentionner mes parents n'était pas une bonne idée.

― Allez, on continue la visite ?

Je souris et offrit mon bras à Cléophée :

― Très chère...!

La Nécromante sembla hésiter un instant mais finalement, prit mon bras. Nous poursuivîmes ainsi notre visite de la galerie...

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