Retrouvailles

Respirant profondément, j'ordonnai à l'oiseau habitant mon coeur de se poser sagement sur la branche et me laisser faire avant de frapper à la porte. Chambre 467 ― celle d'Angel ― tôt, ce matin du cinquième jour : jour des retrouvailles ! Je m'étais levé avant l'aurore pour le célébrer comme il se devait : avec le panier d'un petit déjeuner que j'avais moi-même préparé, du chocolat chaud aux petits pains grillés et aux croissants ― Jole m'avait montré comment faire...

Malheureusement, le résident de la chambre 467 semblait absent : aucune réponse ne parvenait de l'intérieur. Se pouvait-il qu'il dorme...? Etais-je arrivé trop tôt ? Il était vrai que j'avais désiré éviter la masse d'élèves arpentant les couloirs entre leur chambre et la douche en me présentant quelques temps avant, mais Angel semblait ne pas être là...

Déception.

Nous ne nous étions pas fixé d'heure et, un peu naïvement ― une première ! ― j'avais espéré le retrouver aussi vite et seul que possible... Combien de temps devrais-je encore attendre ? Le colibri sur la branche resta les ailes serrées contre le corps tel un oiseau sous la pluie.

Pas grave.

Je me retournai en même temps que des pas résonnèrent dans le couloir...

Jour J ...

Je m'étais levé comme toujours, plus tôt que le reste de l'étage. Mais aujourd'hui je me sentais incroyablement léger et paradoxalement anxieux.

Je n'avais jamais autant ressenti le besoin de courir que ce matin. Le premier vrai matin où je retrouverai Morgan. J'irai frapper à sa porte, sans peur de tomber sur Haiko. J'inventerai une excuse plausible juste le temps de lui dire que j'étais prêt et surtout que j'avais réglé mes problèmes.

Je revins au château, le stress me gagnant à mesure que les mètres s'amenuisaient. Je traversai le hall en trombe, montai les marches quatre par quatre et me préparai mentalement à le revoir.

J'avais le temps de revenir à ma chambre, de me doucher et de me changer avant que les couloirs ne soient trop animés. Sans diminuer mon allure, je dépassai le foyer et atteignis le dortoir des garçons avant de m’arrêter net à quelques pas de ma porte de chambre.

Morgan !

Boum boum ...

Tel un oiseau capricieux impatient d'être nourri, mon coeur se mit à pialler dès que je le vis ― lui : Angel. Habillé d'un tee-shirt noir qui moulait d'assez près son corps ciselé et d'un short de même couleur, révélant des jambes magnifiquement sculptées, il revenait manifestementd'un footing dans le parc ― et moi, je me repaissais de lui, brûlant tout à coup de désir ! Il était beau, tellement beau, même avec ses cheveux attachés, quelques mèches échappées retombant sur son front ― elles lui donnaient un côté un peu sauvage qui appelait toutes les fibres de mon corps à me jeter sur lui et l'embrasser ! Comment résister à un tel attrait ? Ma voix rauque, voilée de désir, me trahit des que je pronoçai son nom :

― Angel.

Je me raclai la gorge un instant ― il avait beau être irrésistible, je devais me tenir. En fait, malgré mon rêve de l'autre nuit, les images qui dansaient dans ma tête et le désir ardant qui me consommait, je ne pouvais me risquer à ne serait-ce même que l'embrasser sur la joue : il avait si mal réagi après, les deux premières fois, que je préférais le laisser venir à moi, de ce côté là !

― J'ai apporté le petit déjeuner, poursuivis-je, mes yeux le dévorant tel un dessert interdit. Enfin, si tu as faim...

Petit déjeuner ..., répétai-je mentalement incapable de penser à autre chose.

J'étais la gazelle et lui le lion affamé ...
Si j'avais encore eu une once de doute quand aux intentions de Morgan, en le voyant me déshabiller du regard, je n'en eu plus.

Si j'avais faim ?

C'était quoi la vraie question ?
J'étais encore moins sûr de la bonne réponse ...
Me sentant incapable de parler sans me trahir, je franchis la distance nous séparant et ouvris la porte de ma chambre.

Angel ne répondit pas ; pas de vive voix, en tout cas. Il avait l'air surpris. Surpris de me voir au pas de sa chambre. Surpris de me voir avec un panier. Surpris de me voir tout court. Juste surpris.

Apparemment, j'avais fait une bêtise ― assez pour qu'il ne dise mot. Etait-ce encore trop tôt ? Devais-je encore attendre...? Car j'attendrais ― je n'étais capable faire autrement à présent qu'il s'était emparé de mon coeur et l'avait remplacé par un oiseau idiot !

Aussi, je fus surpris lorsqu'il franchit la distance qui nous séparait et ouvris la porte ― m'embrumant temporairement les sens de sa présence ― signe qu'il voulait bien m'inviter à l'intérieur ; simple politesse...?

― Si ça te met mal à l'aise, tu n'es pas obligé, Angel, dis-je. Tu peux prendre le panier et le manger seul !

Je prendrais juste mon chocolat chaud avant de le laisser ― tant qu'il ne le partagerait avec personne d'autre, je supporterais !

Coup au cœur !

Mais quel imbécile je faisais. Alors que ce matin aurait du être le plus beau depuis mon arrivée, voilà que je venais encore une fois de tout gâcher. Je me retournai surpris par la déception que j'avais ressenti dans les mots de Morgan.

― Non ! m'écriai-je presque. Reste ! C'est juste que je ne m'attendais pas à te trouver là. J'ai été surpris car j'avais...

Je perdis le fil de mes pensées. J'avais tant à lui dire et en même temps, je n'arrivai pas à formuler mes phrases correctement.

"Tu m'accordes dix minutes ? Je file à la douche mais je reviens vite".

Je ne lui laissai pas le temps de répondre et me précipitai vers mon armoire pour y chercher mon rechange. Je ne pouvais quand même pas honorer ce petit-déjeuner dans mon état. Avant de ressortir de ma chambre, je me retournai vers Morgan qui n'avait pas répondu :

"Tu seras là quand je reviendrai ?"

Mes lèvres se parèrent d'un sourire ravi, son éclat comme une délicieuse mélodie : un cri du coeur.

― Je serai là, fis-je posé, décontracté : Angel désirait me voir ; mieux, il désirait petit déjeuner avec moi ― il avait seulement été surpris !

Seul bémol, il désirait aussi absolument se doucher et se changer ― alors que, personnellement, ça ne me dérangeait pas ! Mais je le laissai sortir en attendant (im)patiemment son retour...

Je déposai le panier sur le bureau le plus proche, tirai la chaise de biais et m'asseyait. L'odeur du pain grillé se mêlait à celle du chocolat chaud, tel un heureux mélange de gourmandises. Ne manquait plus qu'Angel pour faire chanter l'oiseau dans ma poitrine !

J'avais refermé la porte de ma chambre derrière moi et avait couru comme un dératé dans le couloir jusqu'aux douches. Je ne voulais pas que le chocolat ne refroidisse de trop, bien que de le boire tiède ne me dérangeait pas. Le principal étant de le partager avec Morgan. Tiède, froid, chaud, bouillant ... peu importait.

J'avais à peine pris le temps de détendre mes muscles et de me laver que je sortais de la douche. Je sautai dans mon jean et enfilai ma chemise sans même la boutonner. Dans ma précipitation, je n'avais pris ni chaussettes, ni chaussures et c'est donc pieds-nus que je traversai le couloir en sens inverse. Mes cheveux mouillés trempaient ma chemise mais peu m'importait. Je n'avais que trop tardé ...

J'arrivai devant la chambre 467 et retardai le moment d'y rentrer juste le temps de reprendre mon souffle. Mon cœur battait la chamade dans ma poitrine. J'avais peur. J'étais tétanisé. Je n'arrivai pas à ouvrir cette foutue porte. Je comptai jusqu'à dix et me forçai à entrer.

Morgan était toujours là.

Boum boum ...

Le colibri dans ma poitrine se manifesta dès que la porte s'ouvrit : Angel était là. Angel, avec une chemise déboutonnée qui laissait entrevoir son torse lisse et sculpté...

Le faisait-il exprès ? De me soumettre à la plus irresistible des tentations ?

Garde les yeux plus haut, Morgan ! me fis-je la remarque ― mais Angel était une tentation sous tous ses angles : il était magnifique, c'était aussi simple ― un régal pour mes yeux qui ne pouvaient s'empêcher de remarquer comment ses longs cheveux pâles et détrempés lui conféraient un charme fou !

― Tu veux te promener dans le parc ? demandai-je, essayant de paraître le plus calme possible ― le moins envoûté possible ! Nous pourrions déjeuner tout en marchant...

Je voyais bien Morgan assis sur ma chaise, à mon bureau, dans ma chambre mais je n'osai réaliser tout ce que cela impliquait. J'étais heureux, soulagé mais j'avais cette boule au ventre qui menaçait d'exploser à mesure que j'avançai vers lui. Ne pas se précipiter. Ne pas paraitre surexcité. Contenir ses émotions. Paraitre maître de soi, même si je n'avais qu'une seule idée en tête .... Je tentai de calmer les battements désordonnés de mon cœur qui n'en faisaient qu'à leur rythme, m'empêchant de réfléchir correctement.

C'était sa faute aussi !

Morgan allait-il me regarder ainsi chaque fois que nous serions dans la même pièce ? Il semblait sur le point de me sauter dessus dès que son regard se posait sur moi. C'était flatteur mais inapte à réfléchir correctement ... Et moi ? Mes yeux brûlaient-ils du même feu lorsque je portais mes prunelles sur lui ?

― Oui, d'accord, répondis-je tardivement, légèrement déboussolé par sa proposition.

Je ne savais pas ce que je devais en penser. Ne voulait-il pas rester ici, seul avec moi ? Préférait-il qu'il y ait des témoins lors de notre ballade, même si je nous savais les premiers levés ?

"Allons prendre l'air, il fait frais dehors, cela ne nous fera pas de mal", lui lançai-je en passant à ses côtés subitement "perdu".

L'air frais nous fera vraiment du bien, me répétai-je, comme pour m'en persuader. Je l'espérais du moins ...

Dépassant Morgan, j'en profitai pour enfin boutonner ma chemise - ou tenter, mes doigts tremblants peinaient à passer la nacre dans les boutonnières - ... trempée. Si je sortais comme ça c'était le coup de froid assuré et pas de ceux qui calment les ardeurs mais plus de ceux qui vous clouent au lit pensant des jours. Je n'avais pas envie de tenter le Diable. Mes doigts refirent le chemin inverse et d'un coup d'épaule je me débarrassai du tissus mouillé. Taquin, je ne pu m'empêcher de lancer une remarque à mon visiteur:

"Ferme la bouche Morgan ..." m'esclaffai-je, ravi de ma sortie.

J'enfilai un sweat-shirt à même la peau et me chaussai correctement avant de glisser un œil sur celui qui n'avait toujours pas pipé mot.

"Ta proposition tient toujours ? " demandai-je subitement inquiété par son silence.

― Oui, d'accord, acquiesça Angel lorsque je lui proposai de sortir se promener dans le parc. Allons prendre l'air, il fait frais dehors, cela ne nous fera pas de mal.

Mais je l'écoutais à peine : il jouait avec les boutons de sa chemise, ses longs doigts étrangement maladroits... Je faillis me lever de ma chaise pour l'aider à les refermer lorsqu'il s'en débarrassa tout à coup ― mon coeur bondit dans un fracas de battements d'ailes ! God ― je brûlais de pouvoir caresser ce corps si parfait, le serrer fort tout près de moi !

― Ferme la bouche Morgan..., lança le jeune homme en même temps qu'il attrapait un sweat.

Surpris, je restai un moment interdit ― était-ce si évident que je le dévorais des yeux ?

Un sourire amusé ― et peut-être légèrement carnassier ! ― étira mes lèvres : Angel avait remarqué le désir qui brillait au fond de mes prunelles sombres et en plaisantait sans gêne ; c'était rafraîchissant, comme changement ! Raison pour laquelle je fus pris de court lorsqu'il me demanda, tout à coup incertain quant à cette balade dans le parc, si ma proposition tenait toujours.

― Toujours..., fis-je en hochant la tête.

Aurais-je eu une raison de changer d'avis...?

Je m'approchai et lui tendis la main pour lui montrer que j'avais envie d'être avec lui ― en espérant qu'il ne détalerait pas à l'idée de me la tenir... Avec Angel, j'étais soudain plein de questions quant à mon comportement ; j'osai à peine, de peur de le faire fuir. De le perdre.

Mais depuis quand avais-je peur de perdre qui que ce soit !

Angel m'avait réellement ensorcelé. Complètement. Éperdument.

J'aurais presque préféré qu'il me réponde par la négative. Mais Morgan avait surement raison. Il valait mieux que nous soyons en terrain neutre pour parler. Pas de territoire, pas de dominé, pas de dominant ...

Alors que je me redressai, il s'approcha et me tendit la main. Je restai un moment à la fixer. J'avais en mémoire notre dernière rencontre, celle d'avant les quatre jours, au foyer. C'était le dernier souvenir que j'avais de nous. Mon coeur n'en battit que plus vite, résonnant contre les murs de ma chambre, qui me sembla soudain trop exiguë.

― Tu m'as manqué, déclarai-je, ému, sans quitter des yeux nos doigts entremêlés.

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