Larmes de sang

Loulou me rappela à lui par un cri strident en même temps que je dépassai sa cage ― "Loulou veut cracker, Loulou aide Morgan Le Fay pour cracker" ― mais je n'avais toujours pas de cracker et j'étais trop pressé ―

― Demain, Loulou, demain, lançai-je au perroquet sans m'arrêter : la gargouille au fond du labyrinthe avait tout à coup accaparé toute mon attention.

J'arrivai rapidement jusqu'à la sculpture de pierre. Celle-ci sembla m'observer de ses yeux de verre alors que je l'approchais pour mieux l'étudier...

« Je réalise que les gargouilles ne sont pas tout à fait les mêmes, écrivis-je dans le Gémeau que j'avais sorti de ma sacoche. Celle du labyrinthe possède des yeux de verre ; les prunelles de l'autre brillent d'un rouge grenat... »

Un rouge grenat qui me rappelait la perle de verre qui ornait mon propre Gémeau ― et si les yeux de la gargouille avait le même genre de cristal ?

Je glissai le Gémeau et le crayon dans mon sac, pour ne pas être encombré, puis tendis la main vers la tête de la créature de pierre... Je n'étais pas sans savoir que la magie s'activant à l'aide de sang était dangereuse : elle crée des liens entre deux objets et leur alliance ne se faisait pas toujours équilibrée à forces égales, ce qui pourrait s'avérer fort ennuyeux si celle-ci se faisait à mon désavantage ― mais quelque chose me poussait à avancer la main.

Mes doigts effleurèrent le verre à facettes, se coupant sur ses arrêtes. Le sang perla aussitôt, absorbé un instant plus tard par le verre qui vira au grenat. Le moment de vérité était arrivé...

Doucement, la gargouille prit vie, comme une créature s'éveillant après un long sommeil, s'étirant longuement sur le piédestal où elle était assise. Je fis un pas en arrière, me demandant comment elle réagirait : en bête féroce ou en être doué de raison ? Et pourrais-je l'arrêter si les choses tournait mal ? Des interrogations tardives ― mais pour une raison, j'avais confiance : la gargouille resterait tranquille...

Elle finit, au bout de quelques minutes, par poser ses yeux rouges sur ma personne. Elle m'observa un long moment, perché à hauteur d'homme.

― Tu ressembles à ton frère, fit-elle d'une voix posée, brisant tout à coup le silence.

― Je n'ai pas de frère, répliquai-je sur le même ton.

Quels curieux premiers mots !

La gargouille me dévisagea encore un moment.

― Alors tu ressembles à ta mère, reprit-elle.

J'évitai de répondre que je n'avais pas de mère avant de voir passer le père, le grand-père et le reste de la famille.

― Qu'es-tu ? m'enquis-je à la place.

La gargouille s'ébroua un instant, comme si elle avait de la peine à contrôler tous ses gestes après des siècle de sommeil.

― Un gardien, répondit-elle.

― Du château ?

Elle secoua violemment la tête.

― Gardien de la lignée.

La lignée des rois, j'imaginais.

― Arthur ? demandai-je.

― Aussi.

Sibylline, la gargouille...

― Repasse me voir lorsque la nouvelle lune réapparaîtra dans le ciel, m'ordonna-t-elle.

― La lune n'apparaît jamais lorsqu'elle entre dans cette phase, arguai-je.

― Ce n'est pas parce qu'elle ne semble pas être là qu'elle n'est pas là.

Certes...

― Aurevoir, Mordred Le Fay, prit-elle alors congé de moi.

― Morgan Le Fay, corrigea-je aussitôt, me demandant comment elle connaissait mon nom ― ou presque.

― Vous êtes la même personne.

Je tiquai mais ne fit aucun commentaire ; la gargouille reprenait sa position initiale et elle cessa complètement de bouger, refermant ses paupières sur des yeux rouges. Apparemment, elle en avait fini avec moi !

Je n'avais plus qu'à remonter pour me pencher sur mon Gémeau à l'abri des regards, raconter cet épisode au notaire...

» Larmes d'émeraude...