Comme deux gouttes d'eau

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Pot-au-feu : c'était le menu du soir avec, en prime, des croutons de pain aillolé grillés et poire cuite aux amandes ou au chocolat ― voire les deux ― en dessert. Un repas assez simple, en somme, en accord avec la saison automnale qui se préparait...

Cela faisait deux jours que j'étais au Château, prise entre les devoirs et... les ordres, lorsque j'y réfléchissais. Moi qui étais venue ici spécialement pour y échapper ! Ironique. La seule raison pour laquelle j'obéissais à la majorité des injonctions était parce qu'elles provenaient des professeurs, lesquels nous instruisaient la connaissance nécessaire qui m'aiderait à me défaire de mon don ! Avec les élèves, j'étais déjà moins docile ; seul le profond désir de me faire des amis tempérait ma nature rebelle : lorsque Belle Maman émettait les ordres, je m'arrangeais pour ne pas obéir ― pas dans le sens désiré...

Resongeant à ma rencontre avec la dryade et à mon comportement envers elle, je jouais avec ma nourriture plus que ne la portais à mes lèvres. Songe n'avait pas été méchante mais elle me rappelait trop les fées et j'avais une sérieuse aversion pour ces dernières. Plongée dans mes pensées, je ne vis pas le jeune homme s'asseoir près de moi...

Je lâchai un petit rire, peu habitué à être l'objet d'un comportement galant même si Angel semblait ne le faire que par taquinerie : mes manières particulières ne passaient pas inaperçues et me valaient quelques moqueries amicales. Cela ne me dérangeait pas, au contraire : je me distinguais ainsi du reste du corps des élèves, me préservant de l'anonymat le plus complet de la masse !

― En parlant de soeur, j'aperçois la tienne, dis-je, désignant la jeune fille aux cheveux pâles assise seule à une table. Allons nous assoeir avec elle ― ce sera le moment de faire connaissance !

Nos rires se mêlèrent tandis que nous franchissions le seuil du réfectoire.

― En parlant de soeur, j'aperçois la tienne. Allons nous assoeir avec elle ― ce sera le moment de faire connaissance ! proposa Morgan en désignant de la tête "la copie" assise seule à une table.

Mon visage souriant se ferma et ma bonne humeur retrouvée s'en alla subitement.

― Je ne pense pas que ce soit une bonne idée Morgan, rétorquai-je en lui agrippant le bras.

Angel arbora tout à coup un air sombre et m'agrippa le bras avant que je ne puisse faire un autre pas vers la demoiselle :

― Je ne crois pas que ce soit une bonne idée, Morgan.

Surpris, je haussai un sourcil inquisiteur :

― Pourquoi ? m'enquis-je en même ton que son parfum d'herbes fraîches m'envelopait...

...un parfum très doux, très frais. Je n'imaginais pas Angel en personne douce et fragile mais, quelque part, cela lui allait parfaitement !

― Pourquoi ? demanda Morgan surpris par mon geste et mes paroles.

Je relâchai son bras, gêné de ne pas comprendre moi-même mon comportement ...

Oui pourquoi d'abord ?
Parce que j'ai été plus que grossier tout à l'heure en la snobant sans honte.
Parce que j'ai préféré voir en elle une autre Olympia et que je n'ai pas cherché à en savoir plus sur sa personne.
Parce que j'avais faim et quand je suis affamé, je mords ...

Aucune de mes excuses n'effacerait la mauvaise première impression que j'avais certainement laissé à "la copie". Mais ma dernière pensée ramena un soupçon de sourire sur mon visage. Je soufflai en haussant les épaules et, résigné à réparer mon erreur, j'avouai une partie de la vérité à Morgan:

― Disons que notre précédente rencontre ne restera pas dans les annales de la galanterie masculine. Mais tu as raison Morgan. Je vais en profiter pour réparer ma grossièreté. Après toi, je t'en prie, terminai-je en reportant mon regard vers elle.

Angel pris un air gêné :

― Disons que notre précédente rencontre ne restera pas dans les annales de la galanterie masculine, avoua-t-il.

Avec une aussi jolie fille ?

« Mais tu as raison Morgan. Je vais en profiter pour réparer ma grossièreté. Après toi, je t'en prie. »

Evidemment que j'avais raison !

― J'ai une meilleure idée, dis-je avec un large sourire, prenant l'assiette qu'il avait encore en main. Moi, je vais nous chercher de quoi dîner, toi, tu vas faire tes excuses à la demoiselle ― ça me donnera un prétexte pour vous rejoindre et nous asseoir à sa table...!

Morgan ne me laissa pas objecter et s'échappa trop vite pour que je puisse à nouveau le retenir. Lui courir ou lui crier après n'aurait eu pour résultat qu'attirer l'attention sur nous ... sur moi.

Je finis par sourire devant l'assurance de mon nouvel ami. J'admirais sa désinvolture et son charisme. Je ne doutais pas un seul instant que "la copie" succombe à ses charmes. Mais pour cela il me fallait déjà avancer vers elle et ne pas rester planter au seuil du réfectoire.

Je reportai mon attention sur mon objectif et peu sûr de l'accueil que la jeune demoiselle voudrait bien me réserver, m'avançais sans penser à autre chose qu'à mes excuses.

Je pris place non pas à ses côtés, je laissai cela à Morgan mais une place plus loin. Je l'observai du coin de l'oeil. Avait-elle remarqué ma présence ? J'en doutais en la voyant jouer avec ses aliments et sa fourchette. Elle triait précautionneusement les légumes de sa macédoine qu'elle séparait selon leur couleur. Je souris en la voyant faire et trouvai comment l'aborder:

― Aurais-tu quelque griefs contre ces légumes ? À te voir les torturer ainsi, je dirai que tu n'aimes pas le vert et encore moins le orange. Ils me semblent pourtant bien inoffensifs, me moquais-je gentiment.

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J'observai un instant le jeune homme, surprise : après notre échange bref, à peine aimable, de tout à l'heure, il s'asseyait à ma table ― même si à distance ― pour me... taquiner ? De ma fourchette, je mélangeai à nouveau les légumes dans mon assiette.

― Est-ce que je peux t'aider ? m'enquis-je, ne sachant pas ce qu'il me voulait.

Je souris amusé par sa répartie. Je l'avais bien cherché celle-là. Je m'attendais à quoi au juste ? Qu'elle me parle comme si je n'avais pas été le dernier des goujats un peu plus tôt ?

― Effectivement, cela pourrait m'aider si tu voulais oublier notre première rencontre et accepter mes excuses pour tu sais quoi, proposais-je en la dévisageant.

Je doutais qu'elle les accepte mais au moins je les lui avais offert. La balle était dans son camp ...
Je me calai dans le fond de ma chaise, attendant la réponse de "la copie" dont j'ignorais toujours le prénom et de Morgan qui piochait ça et la de quoi manger.

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On a faim...
Je veux manger du poisson, et des pommes de terre.
Et du brocolis !

Beurk, pas du brocolis ! Je prendrai ce dont moi j'avais envie. Je remplis mon assiette d'un peu de tout, attrapai un verre d'eau et déposai le tout sur un plateau. Je me retournai alors pour voir où je pourrais m'asseoir, là où il n'y aurait personne. Mon regard s'arrêta un instant sur deux élèves, assis à la même table mais séparés par plusieurs places. Il s'agissait d'une jeune fille aux incroyables cheveux blancs et d'un garçon qui paraissait être son frère. Celui-ci regardait la fille fixement, sans bouger - il n'avait d'ailleurs rien à manger devant lui -, comme s'il attendait quelque chose de la part de celle qui jouait avec sa nourriture, sans lever les yeux de son plateau. Ils avaient tous les deux l'air assez mal à l'aise...

Esmeralda, arrête de reculer...
Arrête-toi, arrête-toi !
Tu vas lui rentrer dedans ! Arrête de reculer !
Bouge du milieu Esmé !

Je n'entendais même plus leurs jacasseries, la fille venait de relever son visage. Elle semblait s'apprêter à parler, et j'aurais bien aimé entendre...
Une épaule vint heurter mon dos, pas très fort mais assez pour que je sente la douleur dans ma colonne vertébrale.

On te l'avait dit...

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Je l'observai encore un instant ― que faire ? J'étais désarçonné par l'aplomb qu'il affichait, m'abordant avec une confiance qui me dépassait ; mais... il avait pris la peine de venir me voir ; je pouvais bien accepter ses excuses...

― Si tu le veux, finis-je par dire.

J'arrêtai de mélanger mes légumes.

« Je m'appelle Ella, poursuivis-je, décidant tout à coup de me lancer. Ella des Cendres. »

Je sentis qu'elle m'observait à son tour. Je fis mine de ne pas m'en apercevoir, observant la scène qui se déroulait au buffet. Morgan n'était plus seul. Le réfectoire commençait à se remplir tout doucement.

― Si tu le veux, me surprit-elle en répondant, après seulement quelques secondes, d'un murmure à peine audible.

Mes excuses étaient acceptées même si elle n'avait pas vraiment usé de la formule qui convenait mais je m'en contenterais. Je ne pouvais me permettre d’être si pointilleux. Je ne voulais pas non plus jouer les impatients donc je ne réagis pas à ses mots. Je dus bien faire car le son strident de la fourchette grattant l'assiette en porcelaine cessa et fut remplacé par la douceur de sa voix.

"Je m'appelle Ella. Ella des Cendres", précisa-t-elle.

Je me tournai à nouveau vers elle tout sourire.

― Enchanté Ella, moi c'est Angelus, lui déclarai-je en reportant mon regard vers Morgan qui venait d'entrer en contact avec une jeune fille brune. Sais-tu que Morgan nous pensait frère et soeur ? lui demandai-je en le désignant de la tête.

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Je détournai les yeux un instant d'Angelus ― prénom qui lui allait à ravir tant ses traits étaient lisses ― et reportai mon regard vers le jeune homme qu'il avait désigné d'un coup de tête. Le garçon qui m'avait ouvert le portail dans le jardin aux nains...

― Non, dis-je, refaisant face au premier.

Evidemment que non ― je ne connaissais ni l'un ni l'autre.

« Je ne trouve pas que nous nous ressemblons. »

Seuls nos cheveux pâles étaient semblables ; autrement, nous n'avions rien en commun.

Le coup n'était pas très rude ― pas assez pour me déstabiliser ; mais portant l'assiette d'Angel et la mienne en équilibre sur le même bras ― afin de mieux nous servir de l'autre main ― je ne pus éviter celles-ci de se renverser et de se briser dans un bruit fracassant qui attira les regards.

Merveilleux.

Je jetai un regard irrité vers la personne ― une demoiselle aux cheveux sombres ― chargé de reproches : je détestais la maladresse.

Qu'elle m'affirme le contraire m'aurait étonnamment surpris , pensais-je un rictus moqueur aux lèvres.

― Tu as raison, mentis-je en reportant mes yeux sur elle. Nous n'avons rien de commun à part ...

Je ne terminai pas ma phrase, un bruit de vaisselle qui se brise me coupa dans mon élan. J'éclatais de rire devant la scène qui s'offrait à moi. Un Morgan contrarié et une jeune fille brune à la mine déconfite. Une future compagne de jeu pour Haiko ?

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Fracas de vaisselle brisée.
Je me retournai vers celui que j'avais bousculé, un jeune homme au regard furieux. Mes joues se tintèrent de rose. Je mordillais ma lèvre inférieur, le garçon en face de moi avait le visage pincé et ses prunelles m'envoyaient des éclairs de reproches. Je sentais mes yeux devenir humides, je tentai de me ressaisir.

Esmeralda, calme-toi, ce n'est rien.
Oui, respire un bon coup et excuse-toi.

― Pardon..., murmurai-je dans un souffle de voix quasi inaudible.

Et je restai plantée face à lui, incapable du moindre mouvement alors que je n'avais qu'une seule envie : partir de là, me cacher. Mais tout ceux présents dans le réfectoire devaient être tournés vers nous.

Ce n'est rien...
Et puis, ça arrive à tout le monde.

Je risquai un coup d'oeil ma gauche. Le garçon aux cheveux clair était en train de rire et il regardait dans notre direction. Cette fois, je ne pus empêcher quelques larmes de couler.

Tu es complètement idiote !
Arrête de te comporter comme une enfant, Esmé.

God ― il fallait qu'elle se mette à pleurer ― comme si je l'avais maltraitée ! Etais-je maudit pour attirer tous les crybabies ? J'aurais levé les yeux au ciel si je n'avais crains que mon impatience ne choque, passant pour de l'insensibilité ― faire pleurer une fille était fort inapproprié.

― Ce n'est que de la vaisselle, finis-je par dire d'un ton neutre. Ce n'est certainement pas ce qui manque ici...

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Angelus n'acheva pas sa phrase : le fracas de vaisselle se brisant en mille morceaux l'interrompit et nous détournâmes le regard, attirés par le bruit.

Morgan, le garçon du jardin aux nains ― le camarade d'Angelus ― avait des bris de porcelaines et de la nourriture à ses pieds. Une élève près de lui avait l'air désolé. Angelus, de son côté, trouvait le tableau comique et ses rires se mêlèrent à ceux de quelques autres...

― Vous êtes proches ? demandai-je.

C'était presque rhétorique : ils en avaient l'air ― Morgan était en train de remplir deux assiettes avant de les faire tomber. Et la moquerie était parfois signe d'amitié, surtout masculine.

D'un certain côté, je les enviais ; j'avais tellement de mal à m'ouvrir que je manquais cruellement d'amis...

J'étais trop éloigné pour entendre ce que disait Morgan à la jeune fille mais assez proche pour la voir pleurer. Mon rire moqueur cessa instantanément. Je me sentis honteux et baissai la tête, embarrassé.

― Vous êtes proches ? demanda Ella me détournant de ma culpabilité passagère.

Proches ? Comme amis ? Meilleurs amis ?

Je me redressai et posai un coude sur la table, le menton sur la paume. Je réfléchis un court instant et répondis le plus sincèrement possible:

― Aussi proches que peuvent l'être deux personnes qui ne se connaissent que depuis quelques minutes ... Et toi, tu t'es fais des amis depuis ton arrivée ?

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Angelus cessa soudainement de rire, baissant honteusement la tête : la jeune fille était au bord des larmes, ses yeux humides scintillant. Que lui avait dit Morgan...?

― Aussi proches que peuvent l'être deux personnes qui ne se connaissent que depuis quelques minutes..., me répondit Angelus, attirant mon attention.

Cela me laissa songeuse : à peine arrivé, déjà à l'aise avec une autre personne. Une chose qui ne pourrait jamais m'arriver ― je devais tellement me méfier !

« Et toi, tu t'es fais des amis depuis ton arrivée ? »

Je me remis à jouer avec ma macédoine...

― J'ai fait quelques rencontres...

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― Ce n'est que de la vaisselle, ce n'est certainement pas ce qui manque ici...

Niñita, sèche tes larmes !

J'essuyai mon visage rapidement et repris mes moyens tout aussi vite ― remarquable ! ― :

― Oui, peut-être. Encore pardon, je... je ne faisais pas attention.

Il l'a déjà remarqué !
Tu m’énerves, Esmeralda, tu fais n'importe quoi depuis que nous avons quitté la maison.

Mais chut ! Qu'elles arrêtent de m'importuner dans ces moments là !

― Oui, peut-être, fit la jeune fille d'une petite voix, séchant ses larmes du revers de sa manche. Encore pardon, je... je ne faisais pas attention.

N'était-ce pas précisément ce que je lui reprochais ? De ne pas faire attention ? Attention, à moi ― à croire que j'étais invisible ! Me, of all people !

― Veillez-y, la prochaine fois, répondis-je avant de prendre congés d'elle : « Mademoiselle... »

Et je me dirigeai, irrité, vers la fin de la queue que je devais refaire...

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― Veillez-y, la prochaine fois. Mademoiselle..., répondit le jeune homme d'un air terriblement hautain et dédaigneux, se dirigeant vers la fin de la queue.

Je sentis le rouge monter à mon visage, la colère. J'étais passée de honte à colère en un instant. Incapable de maîtriser mes émotions.

Calme-toi, s'il te plaît...
Pas d'éclat.
Quoi ? C'est vous qui osez dire ça ?
S'il te plaît, Esmé.

Je partis d'un pas rageur vers une table libre, cependant assez proche de celle de la fille et du garçon aux cheveux blancs qui semblaient avoir entamé une réelle conversation. L'autre arrogant avait soudainement quitté mon esprit, je ne devait pas m'emporter pour si peu. Non ?

― J'ai fait quelques rencontres, répondit Ella évasivement.

Elle ne semblait pas disposée à engager la conversation plus que par politesse. Ses réponses étaient aussi énigmatiques que celles de Morgan que je ne quittais pas du regard.
Semblant plus que contrarié, il avait reprit place en queue de la file des élèves qui semblaient tous s'être donné le mot pour l'importuner.
De son coté, la jeune maladroite s'était assise à quelques mètres de notre table.
Ella s'était remise à jouer avec ses légumes.

Je soufflai de désespoir. Toutes les journées allaient-elles être aussi peu intéressantes ?

Un quart d'heure après avoir refait la queue, j'arrivai enfin au bout de la table, là où étaient posés les couverts. Je m'emparai à nouveau de deux assiettes ainsi que de fourchettes et de couteaux, remplis ces première et finis par revenir vers Angel et la jolie demoiselle qui lui ressemblait...

― Ton assiette, Angel, dis-je en déposant le plat en porcelaine devant lui avant de me tourner vers celle que j'avais prise pour sa soeur : Mademoiselle, comme l'on se retrouve ! Puis-je moi m'asseoir avec vous...?

» Deux garçons, une fille ...