Remède à la folie

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En venant de la chapelle...

Nous arrivâmes en lisière de forêt. Je lâchais enfin la jeune Kamelina pour m'approcher d'un chêne, et posai ma main sur son écorce. Le contact s'opéra, et nous communiquâmes brièvement, l'affaire de politesses et d'un simple renseignement, par "pensée", ou du moins ce qui pouvait s'en approcher le plus.

― Allez, viens voir !

Je parcourais une petite centaine de mètres dans la direction indiquée par le chêne, et découvris un petit parterre de fleurs mauves.

« Assieds-toi et observe ! »

Avec le plus grand soin, j'offrai quelques remerciements à la Terre pour m'offrir un peu d'elle même, et déracinai une des plantes avec attention. Je coupai la tige et nettoyai le bulbe de la racine.

Sous ses yeux, je croquai une moitié de la tubercule et lui offris la seconde partie.

Je ne sais combien de temps et quelle distance nous parcourûmes avant que Songe ne daigne me lâcher. Avait-elle peur que je m'enfuis en courant ? Si j'avais du prendre mes jambes à mon cou, je l'aurais fait bien avant qu'elle ne nous isole aux abords de la forêt. Comme quand je me suis rendue compte de son étrange accoutrement et de sa sibylline couleur de peau par exemple. Je respecte totalement sa préférence pour les harmonies de verts. Personnellement j'opterai pour les nuances violettes.

Curieusement, je ne me sentais pas en danger en sa présence. Décidément, elle avait l'étrange faculté de me mettre à l'aise ― hormis l'épisode du baiser qui ne me paraissait plus si déplacé maintenant que j'apprenais à la "sauver".

Qu'était-elle donc ? Une jeune farfelue se réfugiant dans le royaume des fleurs et des plantes comme moi dans celui de Dieu ?

Pourquoi pas ? Elle me paraissait si inoffensive vêtue de tous ses artifices colorés. Elle avait même été jusqu'à porter des prothèses pointues qui lui donnaient l'air d'une elfe. Je me surpris à nouveau à sourire. Pour moi, elle serait à jamais l'elfe de la forêt. Surnom plus poétique et magique que la folle de la chapelle...

Je dois aussi avouer que cette ballade forcée me permettait de visiter une partie des alentours du château que mes pas hésitants n'avaient pas encore abordée. Je faisais donc, en suivant mon guide, d'une pierre deux coups.
Je l'observai "communier" - comment exprimer autrement les gestes presque tendres qu'elle avait - avec l'écorce d'un chêne centenaire.

― Allez, viens voir ! furent les premiers mots qu'elle m'adressa depuis mon "kidnapping".

Docile, je la suivis encore quelques pas. Nous nous enfoncions vers le cœur de la forêt quand soudain elle stoppa net. Nous nous tenions devant un parterre de fleurs mauves. Que penserait-elle si je lui confiais que de toutes les fleurs dont je m'occupais au couvent, mes premières attentions se portaient toujours pour celles qui fleurissaient mauves ou roses ? Ne voulant pas plus l'ancrer dans sa folie "florale", je gardais cela pour moi. Elle en faisait bien assez toute seule...

L'air concentré et très sérieux comme avec l'arbre un peu plus tôt, "l'elfe" m'obligea d'un ton qui n'acceptait pas de refus, à m'asseoir et à observer. Je m'exécutai sans broncher, curieuse de voir jusqu'à quel point elle se sentait habitée par son personnage.

Je crus un instant qu'elle voulait me montrer ses talents de jardinière. J'aurai alors exprimé ma passion pour cette activité. A la place, je déglutis quand elle me tendit un bout de racine fraîchement coupée. Devant mes yeux ébahis, elle venait de manger l'autre moitié.

―Tu n'es pas sérieuse ! Tu veux que je mange ça ? m'ecriai-je choquée.

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― Tu n'es pas sérieuse ! Tu veux que je mange ça ?

A vrai dire... oui, tout à fait. Mais sa réticence était logique, elle pourrait penser que cette solanacée était toxique. Et pourtant j'en avais pris sous ses yeux.

Je m'assis devant elle, ramassai la fleur coupée auparavant le la lui glissais dans les cheveux.

― Lorsque je n'étais moi même qu'une petite fleur fragile, il y a des années, j'avais peur de tout. Lorsque mes soeurs narguaient les chênes, je me réfugiais avec mon amandier. Un jour, Kynareth, lassé ― et il en faut ! ― m'a envoyé lui cueillir quelques baies au plus profnd de la forêt. J'ai affronté mes peurs, et suis allé en chercher. Lorsque je suis revenue, il m'a déclaré qu'il ne me reparlerait que lorsque j'aurais mangé ces baies.

Je pris un instant de pause, me remettant bien assise.

« Tu devines que j'ai eu bien peur. Je suis resté des jours durant à le supplier de m'épargner ça, craignant ce qui allait m'arriver. J'ai toujours eu des nuits ... difficiles, alors prendre de ces baies aurait été tout sauf bon pour moi ! Et finalement, un soir, j'ai cédé ... je lui ai fais aveuglément confiance pour la première fois, alors qu'il a toujours été le seul être qui m'importe. J'ai mangé les baies. »

Je lui tendais à nouveau le bulbe.

« C'était des myrtilles. Allez, fais moi confiance, tu sentiras à quel point c'est agréable. »

― C'était des myrtilles. Allez, fais moi confiance, tu sentiras à quel point c'est agréable.

Agréable ? Comment le fait de manger des racines crues pouvait m'être agréable ? pensais-je sur le moment.
Puis, en noyant mes yeux marrons dans l'émeraude des siens, je sus que je devais lui faire confiance. Comment ? Je le savais c'est tout ! Je ne cherchai pas plus à me défiler ou à comprendre "le pourquoi du comment". Alors tout comme elle avec Kynareth ― dont j'ignorais le lien avec elle - je saisis légèrement réticente, le "test". Je ne le voyais pas autrement. Un rite de passage pour évaluer la relation qui serait notre.

Je dois avouer que dans mon esprit tout s'enchaînait très vite, trop vite. J'avais été élevée dans un monde où la croyance était le seul point de repère. Je ne connaissais que ce point d'ancrage. Depuis que "Mère" m'avait expédié en cette école, je ressentais de nouvelles choses que je n'avais fais que repousser, les mettant sur le compte de mon nouvel environnement, les changements de mon mode de vie... l'inconnu tout simplement.

Je m'étais trompée sur la raison de ma présence à Brocéliande. Il me semblait plus que nécessaire d'avoir une entrevue avec le directeur, Merlin. Je me rendais compte non pas que l'on m'avait menti sur le monde dans lequel je vivais, mais que ce dernier était peut-être un peu plus complexe que ce qu'on m'avait expliqué. Cette révélation ne m'effrayait pas plus que ça alors que j'aurais dû hurler et partir en courant, me signant et priant pour le salut de mon âme.

Ressentant une paix intérieure et une félicité que je ne m'expliquais pas, je fermai les yeux et croquai dans la racine. Songe m'observait, je sentais pesé sur moi son regard attentif. À la seconde où le jus du fruit - le suc légèrement sucré me rappelait une poire peu mûre - coula à l'intérieur de ma bouche, laissant une goutte sur la commissure de mes lèvres, je ne regrettai pas d'avoir sauté le pas.

Delicieux ...

― Merci Songe. Mais dis-moi, qui est Kynareth ? demandai-je, rouvrant mes yeux émerveillés sur elle.

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Après une hésitation, elle croqua enfin dans le bulbe. Je commençais déjà à ressentir les effets narcotiques de la plante, sur une humaine, ça irait légèrement plus vite que moi avant de trouver le sommeil.

La mandragore était une plante vraiment utile.

― Kynareth ? * Bâillements * C'est mon amandier, mon âme soeur, mon protégé et protecteur, pourquoi ?

― Pourquoi ? répétai-je difficilement. Mes paupières se fermaient toutes seules alors que le soleil n'avait pas encore atteint son zénith. Mais que m'avait-elle donné à manger ? Je resistai, je baillai mais rien n'y fit, je me sentis tomber en arrière...

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Kamelina commença à s'effondrer, j'eus tout juste le temps de la rattraper pour rendre la chute plus douce.

Commençant à ressentir une grand fatigue également, je m’allongeais dans l'herbe à côté d'elle, lui prenant la main : elle ne risquerait rien à côté d'une dryade. Le ciel tournait, cette sensation narcotique me montait à la tête. Tout devenait plus clair, plus beau, plus drôle. Complètement défoncée, mais tellement heureuse de l'être, je me laissais bercer dans les bras de Morphée.

Je commençai à évoluer dans l'inconscient : celui de Kamelina. La thérapie pourrait commencer. Et à défaut de succès, ça ne pourrait qu'être drôle ! Je localisai son subconscient tout proche de mon esprit. A mesure que la mandragore faisait effet, elle sombrait dans un rêve hallucinatoire. Je me rapprochai d'elle tandis que le décor se formait. Les couleurs tourbillonnaient, je vis des visages - fantômes de sa mémoire sans dote ― passer à toute vitesse dans un ouragan de pensées.

Et alors, enfin, le décor se fixa, et le subconscient de Kamelina ouvrit les yeux.

La lune pleine éclairait la clairière. Je n'avais qu'à longer le chemin que d'autres pas avant les miens avaient tracé. Je me laissai guider par le rythme hypnotique des tambourins qui résonnaient au loin. Plus la cadence accélérait, plus je sentais mon corps entrer en transe...

...

Qui étaient ces femmes vêtues de robes blanches qui s'exprimaient dans un langage inconnu ? Pourquoi se tenaient-elles en cercle les mains jointes ? Je voulais m'approcher mais j'avais peur de me faire prendre à espionner.

Je savais que je ne devais pas être ici. Ce n'était pas encore le moment...

...

Pourquoi ne puis-je pas les avertir du danger ? Ne m'entendent-ils pas ? Ne sentent-ils pas l'odeur de bois brûlé ? Oh mon Dieu ! Réveillez-vous. La maison brûle...

...

Mon enfant, mon pauvre enfant. Te voilà orpheline. Si jeune et déjà à porter un si lourd fardeau sur tes frêles épaules. Tu seras en sécurité ici. Nous t'offrirons l'amour que tu es en droit de recevoir. Dieu est amour et sa maison sera tienne désormais...

...

Nous n'avons plus le choix ! Je sais que ce n'est pas une décision facile, mais nous ne pouvons pas la laisser dans l'inconnu. Cela aurait du être depuis des années déjà...

J'ouvris les yeux et tentai de me redresser mais ma tête me faisait atrocement souffrir. J'avais du m'assoupir après avoir mangé la racine sucrée.

― Songe, toi aussi tu as dormi ? la questionnai-je sans pour autant réussir à tourner la tête vers elle.

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Lorsque le rêve prit fin, je restais encore quelques instants dans le flou, rejoignant rapidement les simplistes rêves de quelques animaux nocturnes, rêves très creux et sans sens réel. Je méditais encore sur deux points bien précis.

Premièrement, toute la scène qui s'était jouée sous mes yeux. Les rêves prenaient rarement ce point de vue, et la mandragore entraînant invariablement des flashs de mémoire, il était forcé qu'elle fut présente dans la scène. Sauf que son subconscient, était décalé de la scène, je n'avais presque jamais vu ça, surtout pas dans ce genre de rêves. Le drame qui venait de se jouer devait être scellé au fond de son âme comme une marque noire dans son dos : invisible et douloureuse.

Deuxièmement, il était étrange que je n'ai pas interféré au rêve. Généralement, le subconscient m'absorbe dedans, j'en deviens un personnage, et peux interagir, donner des idées. Cette fois ci, j'étais comme "bloquée", tout autant spectateur invisible que Kamelina. Et celle ci n'avais même pas semblé me voir...

Il devait y avoir un lien entre ces deux problèmes. Serait-ce la mandragore qui interférait ? Pourtant si elle rendait hallucinatoires les rêves, elle n'avait jamais eu autant d'effet en si petite dose. Non, si cela n'était pas de ma faute, il ne restait qu'une seule solution...

Je rouvrai les yeux. Je lâchai la main de Kamelina, elle semblait se remettre de ces émotions elle aussi.

― Songe, toi aussi tu as dormi ? me fit-elle, encore un peu dans les vapes. Je me redressais.

― Oh oui, c'était magique. Le Nirvana. Alors, que penses-tu du voyage ?

― Oh oui, c'était magique. Le Nirvana. Alors, que penses-tu du voyage ?

Magique ? Nirvana ? Mais que racontait-elle ? Je ne sais pas de quoi avait rêvé mon elfe mais moi, une chose est sûre, c'est que le temps que j'avais passé à dormir, les flashs qui étaient apparus devant mes yeux, tenaient plus du cauchemar que d'un voyage au doux pays des rêves.

Une sensation de comprendre sans comprendre ne me quittait pas. Je sortais malaisée de ce sommeil artificiel. Était-ce dû aux scènes qui s'étaient succédées ? J'avais la nette impression qu'elles n'étaient que le commencement d'une chose plus vaste encore que le monde dans lequel j'avais toujours cru vivre. Les questions s'enchaînaient dans ma tête, maintenant que je ne me sentais plus vaseuse.

Que s'est-il passé ? Que m'as-tu fais manger...?

D'autres encore mais je préférais poser celles qui me rassureraient sur mon état mental. Je me défilais en quelque sorte mais au moins j'aurais quelques réponses. Je l'espérais en tout cas et je serai vite fixée...

― Songe ? Tout ceci est-il bien réel ou est-ce que je suis endormie dans mon lit au couvent ? Est-ce moi qui délire par peur de venir à Brocéliande ? Tu peux me dire la vérité tu sais, je comprendrais, la rassurai-je en me redressant.

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― Hélas, non, tu ne rêves pas. Tu es bel et bien à Brocéliande, en face de la plus belle dryade de la forêt " lui fis-je d'un air amusé.

Elle semblait se remettre difficilement de sa défonce.

- " Qu'est-ce qui ne vas pas ? Tu te sens bien ? Qu'est-ce qui s'est passé ? "

― Qu'est-ce qui ne va pas ? Tu te sens bien ? Qu'est-ce qui s'est passé ? me questionnait Songe.

Je tentai toujours de remettre mes idées en place. Sa racine avait eu des effets plus que dévastateurs. Je tentai de répondre le plus sincèrement à ses questions, occultant pour le moment celles que j'avais encore prévu de lui poser.

— Rien ne va Songe. Non je ne me sens pas bien et je ne sais pas ce qui s'est passé. J'ai vu ... je crois que ... , m'arrêtai-je subitement.
Je me levai trop vite et fut saisie d'un léger étourdissement. Après quelques secondes, je me sentis mieux et poursuivis sans la laisser parler.

— Dis Songe, ça te dérange pas si j'abrège notre après-midi promenade ? Je dois absolument m'entretenir avec quelqu'un.

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C'était bien ce que je pensais. Tout ceci avait dû bien la chambouler.

- " Je suis confuse, jamais personne n'avait eu de problèmes de la sorte. D'habitude, c'est toujours une défonce absolument géniale ... Tu devrais peut-être pas aller voir à l'infirmerie, je suis pas sûre que les drogues le premier jour nous seraient excusées. Mais si t'as besoin de quoi que ce soit, j'ai des contacts ... un peu moins insouciants que moi ! "

Normalement, tout devrait être bon de ce côté.

- " Je te ramène à l'entrée. Je sais pas toi mais j'ai carrément la dalle, manges un truc ça fait toujours du bien. "

Je la ramenais ainsi devant les portes du château, espérant qu'elle ne me reprocherait pas l'épisode. Car s'il y avait au moins un truc de vrai, c'est que jamais personne n'avait regretté le voyage ... avant ...