[Elève] Kamelina Doe

Par une nuit où la lune répandait sa clarté ici-bas, une nuit où l'astre fécond fut le témoin involontaire du drame qui se jouait dans la campagne bretonne ...

Est-ce son don de prescience ou l'odeur de bois brûlé qui réveilla en premier le propriétaire des lieux ? Nul ne le saura jamais ...
Ce dernier, conscient de la tragédie qui se déroulait en sa demeure ne perdit pas un instant en conjonctures. Simplement vêtu de son pantalon de nuit, il bondit hors de son lit et hurla en direction de son épouse encore prisonnière du sommeil du juste.

— Alevina, réveille-toi, la maison est en feu. Je vais chercher Kamelina.
— Mevan ? Qu'est-ce que tu fais debout ...
— Alevina ! La maison brûle et nous avec !!

Ses cris l'époumonaient davantage à cet instant, alors que l'épais nuage grisâtre s'infiltrait menaçant, en-dessous de la porte en chêne de leur chambre.

— Ne bouge pas de cette pièce et n'ouvre surtout pas la fenêtre, hurlât-il, se retournant une dernière fois vers l'amour de sa vie, prêt à sortir.

A l'instant où il tendait la main vers la poignée de la porte, décidé à ne plus perdre un instant, il entendit le froissement distinctif des draps repoussés à la hâte; signe que son épouse avait comprit l'urgence et le danger de la situation. Il la devina au bruit de ses pas, se précipitant vers la commode dont elle commençait à tirer de leur étui de chêne les tiroirs récalcitrants. Ceux-ci usés et fatigués par leurs vas-et-viens quotidiens peinaient à se laisser entrouvrir.

À travers la fenêtre nue de tenture, filtraient les reflets bleutés de l'astre lunaire, tapissant leur nid nuptial d'une aura d'irréalité. Les rayons éclairaient et rendaient les mouvements des jeunes parents aussi précis et perceptibles qu'en pleine journée d'été.
Paradoxalement, ils ne dissimulaient pas les couleurs plus chaudes - mélange d'orangés et de rouges - que les flammes laissaient sur leur sillage en léchant le bois extérieur de leur bâtisse.

Il leur fallait se hâter.
Il leur fallait sauver l'enfant.
— Le minimum ma chérie. Ne nous charge pas inutilement, nous nous débrouillerons, haleta l'homme en posant sa main sur le métal déjà échauffé de la poignée.

Il y a des douleurs que tout homme ne peut combattre mais il y a des épreuves que chacun peut remporter quand la vie de son enfant est en jeu. À cet instant précis, le jeune père ne voyait que le visage de sa princesse devant ses pupilles irritées par la fumée meurtrière.

Papa arrive mon bébé. Papa vient te chercher. N'aies pas peur, susurrait-il pour se rassurer.

Mevan s'élança aussitôt dans le couloir qui l'amenait vers la chambre de sa fille. Aveuglé par l'épaisseur du nuage toxique et diminué par la chaleur que le brasier géant dégageait, il peinait à avancer mais réduisait peu à peu la distance.
Il ne savait pas si sa voix perçait le rideau menaçant mais son courage n'en était que décuplé.

Parvenu dans la pièce où dormait son trésor le plus précieux, il n'aperçut que la forme allongée dans son lit à barreaux. Kamelina inconsciente de l'agitation de ses parents — comment aurait-elle pu alors qu'elle célébrerait ses deux premiers printemps dans quelques jours — le pouce en bouche, reposait sur son ventre, le visage serein et la respiration tranquille.

Alors qu'il sortait l'enfant de ses draps tièdes, il s'aperçut que la fumée qui lui brûlait les poumons, le faisant cracher à intervalles irréguliers, n'avait pas atteint cette pièce.
Se retournant vers la porte qu'il venait tout juste de franchir, il comprit l'étrangeté de la situation. Un mur invisible bloquait l'assaillante. Le bouclier œuvrait empêchant tout danger d'entrer, isolant et protégeant l'enfant endormi. Alevina avait trouvé le temps de créer cette protection.

Mevan reposa à contrecœur sa princesse dans son écrin de dentelles. Elle serait protégée ici. Ne perdant pas plus de temps, il repartit vers sa propre chambre où l'attendait son épouse.

— Alevina, Alevina ...

Il fatiguait en traversant le couloir. Sa voix n'était que murmure. Alors qu'il perdait tout espoir, une main de posa sur son épaule et le charme opéra. La fumée s'écarta laissant apparaître la mage tenant en sa main une besace de cuir sombre.

— J'ai le grimoire et les flacons. Où est notre fille ?questionna Alevina soucieuse de le voir seul.

Ragaillardi par la protection de son épouse, Mevan lui désigna la chambre du doigt avant de s'emparer du paquet.

— Ton bouclier la protège. Elle est en lieu sain là-bas.

Surprise, la jeune mère tourna son regard vers la chambre de sa fille.

— Quel bouclier ? Ce n'est pas mon oeuvre Mev'. Ma protection n'est pas aussi puissante et je la sens qui diminue.
— Dépêchons-nous de sortir d'ici avant que le toit ne nous tombe sur la tête.

D'un seul homme, ils franchirent le mur et pénétrèrent dans la chambre ensorcelée.

— Elle est vraiment très spéciale notre Kamelina, chuchotât Alevina en sortant délicatement l'enfant du lit, l'enveloppant de son drap brodé.

Personne ne songeait à s'interroger sur l'origine du feu mais chacun savait que les Korrigans n'étaient pas étrangers à la situation.

— Donne-moi ta main Mevan. Dans quelques secondes nous serons à l'abri, loin d'ici.

Alevina prononçât dans la langue des anciens l'incantation qui les transporterait en lieu sûre. Serrant sa fille tout contre son torse et la main de son mari près de son cœur, elle récitât sans s'arrêter les mots magiques.

Les secondes s'égrainaient mais rien ne se passait. La magie n'opérait pas. Surpris de voir qu'ils se trouvaient encore au cœur du brasier, Mevan observa son épouse. Jamais elle n'avait paru si impuissante. Sa détresse et son incompréhension plus que palpables n'étaient pas fait pour le rassurer. À mesure qu'elle-même prenait conscience de son incapacité à les sortir de la pièce, son inquiétude à lui grandissait. Il ne voyait rien. Aucune image ne venait éclairer son ressenti. Le trou noir. Un blocage surement provoqué par le stress de la situation.

— Alevina ? Que se passe-t-il ? s'inquiétat-il.
— Une force me bloque m'empêchant de nous échapper. Je n'y arrive pas Mev'.

Alors qu'ils perdaient déjà tout espoir de fuite, le bouclier protecteur de la pièce et celui d'Avelina disparurent, augmentant leur angoisse. Tout s'enchaîna sans que nul ne puisse intervenir. Les flammes et la fumée libérées du mur invisible, s'engouffrèrent avec force dans la pièce. Le souffle brûlant atteint la couple et l'enfant, qui n'étaient plus protégés, les faisant chuter sur le sol réchauffé par le brasier.
La dernière chose que ressentit la magicienne avant que le toit ne s'écroule sur eux et ne les engloutisse dans les flammes, fut un soulagement. Le drap qui enveloppait leur fille était vide. Nulle trace de l'enfant. Disparue. Sauvée d'une mort certaine ...

— Kamelina mon enfant ...

Puis les ténèbres l'engloutirent.

... X ...