Discrète parmi les ouvrages..

Deux jours seulement après la rentrée, et j'étais déjà enfermée en ce lieu grandiose. Une immense salle aux grandes vitres, avec des livres à perte de vue. Il faut croire que les fragiles pages de papiers m'appellent de toute leur âme.
Et puis, j'avais aussi deux raisons d'être en cet endroit, parmi les innombrables étagères et bibliothèques chargées d'ouvrage. D'une part, je suis une grande curieuse, et souhaite apprendre le plus possible.
D'autre part, je ne m'étais jamais sentie à l'aise dans la foule. La faute à mes parents, qui m'avaient rabâché dès que j'avais pu comprendre ce qu'ils disaient que j'étais un monstre. Comment se sentir à l'aise avec autrui après cela ?

Soupirant de lassitude, je reportai mon regard sur l'étagère face à moi. Des livres, de toutes les tailles et couleurs, aux reliures plus ou moins magnifiques ou usées, me faisaient face. Je ne savais lequel prendre en premier. Je sentais qu'une fois encore, je me retrouverai avec une pile de livres sur les bras, au sens propre du terme...

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J'étais arrivée depuis quelques jours et je profitais de mes moments de liberté pour découvrir le château de Brocéliande. Dès que j'avais franchis les murailles, j'avais ressentit une sorte d'électricité au fond de moi, un souffle de chaleur bienveillante. Mes angoisses et mes inquiétudes avaient disparu et une assurance s'était logée en moi.

Le château était immense et le parc davantage ! Il me faudrait sûrement plusieurs semaines pour connaître de façon globale le domaine de Merlin. J'avais découvert ma voisine de chambre le premier soir ― Kamelina Doe. Je n'avais pas vraiment eu le temps de faire connaissance avec elle mais, déjà, j'emportais avec moi une bonne impression. Les élèves que je croisais dans les couloirs semblaient un peu perdus - à vrai dire, nous l'étions tous ― et ça me rassurait de savoir que parmi eux, j'en connaissais au moins une !

Ce jour là, alors que j'arpentais le deuxième étage, je me trouvai face à une immense porte en chêne brillant : la bibliothèque. Depuis que je sais lire, j'avais toujours aimé les livres - je me définissais d'ailleurs comme une lectrice compulsive. Et j'étais curieuse de savoir à quoi pouvait ressembler la bibliothèque d'une aussi étrange École que celle de Merlin. Des images de grandes étagères en bois défilaient dans ma tête et enflammaient mon imagination. N'y tenant plus, je poussai la lourde porte et pénétrai dans la bibliothèque.
L'atmosphère paisible et studieuse m'entoura de suite et je n'eus pas assez de deux yeux pour tout observer ! Les rayonnages de livres s'étalaient à perte de vue, éclairés par une lumière tamisée provenant de lustres majestueux en style baroque.
― Wow... soufflai-je, émerveillée.
La bibliothèque de ma maison n'était qu'une pâle imitation de celle ci, qui semblait conserver des trésors d'archives, de précieuses et inestimables connaissances.

Mécaniquement, mes pas me promenèrent le long des rayonnages, dont les ouvrages, reliés avec soin et raffinement, occupaient pompeusement leur place.
Il y avait peu de monde à la bibliothèque ― les cours n'ayant pas vraiment commencés, personne n'avait de devoirs. Aussi, je pus observer à loisir les rayons qui me plaisaient. Ce n'est que lorsque j'abordais le rayon de littérature magique que je rencontrai quelqu'un ; une jeune fille, qui semblait littéralement captivée par les livres qui lui faisaient face et fortement hésiter quant à celui qu'elle choisirait. Je souris - j'avais trouvé quelqu'un comme moi !
« Bonjour, lui lançai-je, je vois que tu aimes aussi cet endroit ! »

― Oh... Bonjour, saluai-je la demoiselle qui venait de me sortir de ma réflexion.

Grande, brune et aux captivants yeux violets, elle me fixait. Probablement se demandait-elle ce que je faisais là. Quoi que... elle aussi semblait apprécier la compagnie des ouvrages.

― Tu... tu aimes les livres aussi, je me trompe ? demandai-je.

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Je hochai la tête en guise de réponse et m'approchai d'elle. C'est alors que je remarquai son étrange physique que je n'avais pas bien vu à cause des lumières tamisées.

La jeune fille qui me faisait face avait des cheveux bleus et ce naturellement. Ses yeux ― bleus eux aussi, quoi que limpides ― me fixaient avec curiosité. Elle semblait quelque peu surprise que je l'ai abordé et devait sans doute se demander ce que je lui voulais.

Je n'avais jamais été de nature timide. J'allais volontiers vers les gens et étais connue pour être quelqu'un de direct. Je pouvais aussi être très bavarde !
― J'adore les livres, confirmai-je, j'en ai des tas chez moi, mais, rien à voir par rapport à ici ! Un vrai paradis !
Je marquai un temps de pause avant d'ajouter :
« Je suis Wynn Faolan, Première année. »

M'écartant des étagères pour mieux lui faire face, je relevai les yeux vers elle et la dévisageai. Je ne comprenais pas. En temps normal, les gens me fuyaient, à cause de la couleur de mes cheveux, de mon étrangeté et des calomnies proférées par mes parents.

Mais elle, Wynn, semblait singulièrement différente. Elle ne semblait pas accorder d'importance à mes cheveux et paraissait être quelqu'un de plutôt ouvert aux autres.

― Enchantée. Moi c'est Cléophée Ravenwood. Je suis aussi en première année.

Me revins en tête la première partie de sa phrase :

« Tu as vraiment beaucoup de livres ? Moi je les adore mais... je... Je n'en ai jamais eu à moi. Je lisais ceux de la bibliothèque. »

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― Comment cela se fait-il ? lui demandai-je, sincèrement préoccupée.

Vivre sans livre à soi, c'était pour moi comme être... pauvre ! J'avais réellement besoin de livres rien qu'à moi parce qu'ils me donnaient le sentiment d'avoir un monde, un univers dans lequel seul moi je pouvais entrer. Les livres des bibliothèques avaient été tant parcourus par d'autres élèves que l'entrée de leur monde ne semblait plus secrète. J'aimais être la première à ouvrir un livre, à toucher les pages, à sentir l'odeur du papier, tout simplement parce que j'étais la première qui y laissait une trace. Cependant, j'étais bien consciente que ce n'était pas le cas de tout le monde et que beaucoup, au contraire, préféraient les livres feuilletés par de nombreuses personnes avant eux, car cela leur donnaient l'impression que le livre avait une vie, une histoire indépendante de celle qu'il racontait.

Je comprenais sa stupéfaction. Ne posséder aucun livre, pour quelqu'un qui les aimait vraiment, c'était comme... être nu, sans défense. Les livres sont une échappatoire à la réalité, un moyen de s'évader, de respirer, mais aussi d'apprendre, de s'instruire à des sujets que l'on ne pourrait connaitre sans cela.

Alors, ne pas avoir un seul livre à soit... Oui, c'était un véritable enfer. Même si cela coûte cher, pour certains ouvrages du moins, avoir Son livre est un vrai délice. Que n'aurais-je pas donner, que n'aurais-je pas fait pour en avoir, rien qu'un, même un petit ouvrage, à moi seule...

― Je... c'est... Mes parents, soufflai-je en baissant la tête, fixant mon regard azur qui s'embuait sur mes bottes.

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Cléophée semblait désarmée et j'eus conscience d'avoir peut-être été trop loin dans mes questions... Je m'excusai :
― Désolée, je n'aurai pas dû... Je ne pensais pas à mal...

Je me rendais compte de la banalité de mes paroles, mais ne savais pas tellement quoi dire d'autre... Apparemment, je n'étais pas la seule à avoir des difficultés... Si j'étais angoissée à l'idée de ne pouvoir activer ma magie, Cléophée était elle aussi poursuivis par ses démons. A chacun ses casseroles.
« Il y a sûrement un moyen pour que ça s'arrange... » soufflai-je, compatissante

Fermant un instant fermement les paupières, je chassai ces larmes importunes, puis relevai me visage vers Wynn. Mon éternelle méfiance m'avait fait douter de ses paroles mais, devant l'expression de son visage, je ne pouvais plus douter de sa sincérité.

― Ne t'en fais pas. Ce n'est pas grave...

Non. Ça ne l'était pas. Ça ne l'était plus. Mais le poids du passé et ses conséquences pesaient sur mes épaules, me faisant ployer l'échine sous cette masse d'infortune.
Une solution ? Oui, peut-être. Après tout, je cherchais des réponses et des solutions depuis leur mort. Mais saurais-je les trouver ? Cela était une autre affaire.

« Que ça s'arrange ? J'imagine que oui. Mais j'ai bien du mal à croire que cela soit possible. »

Peut-être étais-je hautement pessimiste, ou alors était-ce le résultat de tous les traitements que j'avais subi... Qui pouvait savoir ?

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― Que ça s'arrange ? J'imagine que oui. Mais j'ai bien du mal à croire que cela soit possible, me répondit Cléophée dans un murmure.

Je lui fis un sourire désolé, ne sachant pas trop quoi lui dire. Je promenai mon regard sur les étagères durant quelques secondes avant de ramener mon regard sur elle. Elle retenait ses larmes et se faisait tout petite.

« Je l'espère sincèrement, en tout cas, » lui dis-je.

Je pris une grande respiration puis changeai de sujet de conversation :

« Tu te plais, ici ? »

Elle semblait avoir remarqué mon désarroi et, je le devinai, voulait changer de sujet. Mais ce n'était pas sa faute après tout.

― Tu te plais, ici ? Me demanda-t-elle.

― Oh, oui, j'adore cet endroit. Je n'ai pas encore rencontré grand monde mais déjà l'école me plait beaucoup.

Il était vrai que je n'avais croisé personne, mis à part elle. Pas étonnant vu que je m'étais repliée ici.

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Je lui souris, partageant son enthousiasme ! Moi même, je n'étais pas au château depuis longtemps, et pourtant, c'est comme si j'y avais déjà ma place... Bien-sûr, la maison me manquait - les miens aussi, d'ailleurs - mais, je me sentais bien à Brocéliande. Il y régnait une ambiance enchantée, envoûtante, comme c'est le cas dans les lieux ayant une identité et une histoire particulière. Le château était littéralement magique et je le ressentais tout le temps.

― Je ne connais pas non plus grand monde, précisai-je à Cléophée, hormis ma camarade de chambre. Et encore, connaître est un grand mot ! Je te la ferai rencontrer, si tu le veux, elle est plutôt sympa !

Je comprenais son sourire enthousiaste. Cet endroit était... indescriptible. Je ne sais pas, mais on pourrait le croire hors du temps, dans un monde à part. J'aimais cela, le fait qu'ici, je pouvais presque oublier ma vie, devenir quelqu'un d'autre. C'était ce dont je rêvais, ça et améliorer ma magie, découvrir de quoi j'étais capable.

― Oh ce serait avec joie. Pour ma part je suis, je crois, avec deux personnes, mais je ne connais que leurs noms, lus sur les panneaux d'affichages. Mais je pense que les rencontres viendront.

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― Ça ne saurait tarder, en effet, confirmai-je.

J'inspirai profondément - il y avait tant à faire ici, à découvrir, à vivre, à apprendre. A prouver, pensai-je malgré moi. Je me renfrognai. Je ne devais pas oublier ce pourquoi j'étais là. Contrairement aux autres, je n'étais pas là pour apprendre la magie ou m'y améliorer.

J'étais là pour la trouver en moi ― si du moins elle y était ! Je baissai la tête puis la relevai rapidement. cela m'avait suffit pour me composer un masque souriant. Je m'adresse joyeusement à Cléophée :

― Tu restes ici ou tu m'accompagnes ailleurs ?

Au fond de moi résidait un espoir selon lequel cet endroit changerait ma vie. Ma tête avait du mal à y croire, mais mon âme, elle, persistait. Alors j'arrêtai d'y penser. Comme les humains disent, "il faut vivre l'instant présent". Plus facile à dire qu'à faire à mon avis.

― Tu restes ici ou tu m'accompagnes ailleurs ? Me demanda-t-elle.

Elle tenait à ce que je reste avec elle ? Vraiment ? J'avais du mal à y croire, du fait que tout le monde en temps normal me fuyait...

― Eh bien... si tu acceptes ma compagnie, je pense que je vais t'accompagner..

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― Bien-sûr que je la veux, répliquai-je avec un large sourire.

Nous sortîmes des rayonnages pour emprunter l'allée principale ― celle par laquelle j'étais venue. Un silence s’installa entre moi et Cléophée. A vrai dire, je n'osais pas trop lui demander d'où elle venait et qui elle était réellement, ne voulant pas raviver en elle de mauvais souvenirs. Aussi, je lui demandai quand nous quittions la bibliothèque :

― Ça te dit un tour dans le parc ?

Elle était sérieuse, je ne parvenais pas à y croire. Il existait donc des gens gentils ? J'aurais dû me douter que les gens ici seraient différents. Sans avoir le même passé, nous avions un point commun : la magie.

― Oh oui, ça me dit beaucoup. Je n'ai jamais vu un aussi grand parc !

C'était vrai. Là où j'habitais, l'endroit était plus ou moins vaste, mais mes parents avaient fait raser tous les arbres, ne laissant qu'une longue étendue d'herbe sur laquelle il ne fallait pas marcher...

Heureuse, je suivis Wynn hors de la bibliothèque.

.:.

Suivez Wynn et Cléophée dans le hall.