Une visite chez l'infirmière préméditée

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Je n'étais pas aussi mal que je le paraissais : je n'avais, après tout, que quelques égratignures ici et là, rien de très grave. Je crois que c'était l'écorchure sur la pommette droite de mon visage ainsi que l'entaille à mon bras gauche ― sans parler de ma robe déchirée et des brindilles que j'avais encore dans les cheveux ― qui avaient égaré mes camarades. Ils m'avaient dévisagée avec surprise alors que j'étais rentrée au château par le hall d'entrée, certains avec compassion, d'autres comme si j'étais une aliénée. Un jeune homme plus prévenant que les autres s'était avancé vers moi, m'offrant son aide, quelques secondes avant qu'un membre du personnel ne s'approchât, me demandant ce qui m'était arrivé.

― Je visitais le parc ; je suis tombée, avais-je expliqué.

Ce n'était pas toute la vérité, mais je réservais la version complète pour l'infirmière.

L'homme me mena directement à elle.

La première partie de mon plan s'était parfaitement déroulé...

On frappa de trois petits coups secs contre la porte de mon bureau.

― Oui ? fis-je.

La porte s'ouvrit, laissant apparaître Bobby Wolfe, l'homme à tout faire, et une jeune fille. Une élève, déjà ? Celle ci n'avait pas l'air en très bon état. Robe déchirée, cheveux sales et des coupures aux bras et à la joue ― la belle affaire.

« Bonjour, » dis-je à la jeune fille. « Tu peux me la laisser, » ajoutai-je pour Bobby.

J'invitai l'élève à venir s'asseoir à mon bureau tandis que je me dirigeai vers l'étagère pour saisir un mouchoir et de l'alcool.

« Que t'est-il arrivé ? » lui demandai-je.

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Alwena fit s'asseoir la jeune fille et je pris congés d'elles pour retourner dans le hall.

― M. Wolfe ! m'apppela un élève alors que je quittais l'infirmerie.

― M. Chevalier, répondis-je, le reconnaissant de l'année précédente.

― M. Wolfe, répéta-t-il, sa voix s'infléchissant une fois de plus, s'approchant d'un pas pressé. Il y a une élève sur le toit du donjon !

Je faillis lâcher un juron :

― Il y a quoi ?

― Une élève sur ―

Oui, oui, j'avais compris la première fois !

God. Je devais aller voir...

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― Il y avait un écureuil dans un arbre, répondis-je, regardant la jeune femme prendre un flacon d'une étagère.

Quel pouvait-il être ?

« J'ai essayé d'y monter, mais je suis tombée. Vous pouvez faire disparaître mes écorchures ou devrai-je attendre qu'elles cicatrisent ? »

A ces mots, je levai un sourcil avant de me tourner vers elle, mon matériel à la main.

― Mademoiselle, ne vous est-il pas venu à l'esprit que ce n'était pas le moment de monter sur un arbre pour voir un écureuil ?

Je versai un peu d'alcool sur le carré de tissu avant de l'appliquer sur les petits plaies de la jeune fille. Sa peau pâle contrastait tellement avec l'étoffe noir de sa robe qu'on aurait dit de la porcelaine. J'essuyai aussi le sang qui avait légèrement coulé des plaies tandis que je désinfectai les écorchures.

« Quant à vos plaies, je vais juste vous mettre une goutte d'huile de rose musquée ― ça accélèrera la cicatrisation. J'imagine que vous ne voulez pas rester pendant une semaine avec une marque d'entaille sur la joue. »

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Je fis "non" de la tête.

A vrai dire, l'écureuil repéré dans l'arbre alors que je me baladais à la lisière de la forêt ― essayant désespérément d'échafauder des plans afin de questionner l'infirmière sans éveiller les soupçons ― m'était apparu comme le parfait prétexte pour me blesser et ainsi voir la jeune femme. J'avais passé assez de temps dehors, dans la cour de notre demeure, à grimper aux arbres (lorsque je ne devais pas rentrer polir les cuivre, faire briller l'argenterie ou laver les sols) pour savoir comme m'y prendre. Je n'étais pas tombé par accident...

L'alcool picota mais je restai stoïque. J'étais peut-être née de sang noble et fortunée, mais je n'étais pas une petite chose délicate et fragile ― la mort de mon père avait bouleversé les choses, et j'avais été obligée de m'aguerrir à ma vie de cendrillon.

― Quant à vos plaies, reprit la jeune femme, je vais juste vous mettre une goutte d'huile de rose musquée ― ça accélèrera la cicatrisation. J'imagine que vous ne voulez pas rester pendant une semaine avec une marque d'entaille sur la joue...

Je haussai les épaules. Non, en effet. J'étais déçue : j'avais espéré qu'elle soignerait les maux par magie afin de pouvoir poser ― sans que cela ne semblât étrange ― mes questions sur les sorts réparateurs, leurs forces, les possibilités !

Trouverait-elle cela bizarre si je demandais...

― Est-ce qu'il vous arrive de guérir les maux à l'aide de sorts et de charmes ? Ou préférez-vous les potions et les onguents ?

Je souris en entendant la question.

― Jeune fille... L'huile de rose musquée que je vais vous appliquer n'est pas celle que vous trouvez chez les apothicaires traditionnels. Celle que je vais vous appliquer a des pouvoirs de guérison bien supérieurs. Celle que je vais appliquer sur vos écorchures les feront disparaître d'ici... demain. Ni plus ni moins.

Je marquai une pause, avant de poursuivre :

« Je vous avais bien dit que vous ne resterez pas une semaine avec une cicatrice. Ici, pratiquement tout se soigne avec la magie des plantes, des onguents et des potions. Ne jugez pas trop rapidement ce qui vous entoure ― surtout ici. Bien des choses vous paraîtrons habituelles et sans intérêt, mais, en réalité, ne le seront en aucun cas. »

Je m'éloignai d'elle, jetai le tissu dans un bac prévu à cet effet ― il sera ensuite lavé ― et rangeai le flacon d'alcool.

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L'ouverture que je cherchais ! Je n'hésitai pas et m'engouffrai dans la fente :

― Les potions et les onguents peuvent réellement pratiquement tout soigner ? répétai-je tandis que l'infirmière s'éloignait un instant. En dehors des plaies et des fièvres... la magie des plantes est assez forte pour ressouder les os ? Traiter les morsures de créatures magiques ? Faire disparaître à tout jamais les effets des sortilège ?

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― Cela fait plaisir de voir que certains élèves s'intéressent déjà aux cours de potions, fis-je apuyée contre le cadrant de la porte qui était restée entr'ouverte.

Surprises, les deux têtes se tournèrent vers moi.

« Mlle Asilwen, professeur de potions, me présentai-je à l'élève avant d'ajouter, cette fois pour Alwena : J'aurais voulu savoir à tout hasard, avant de vérifier auprès de Bobby, si tu avais reçu par mégarde, un stock de venin de fleurs-de-sang en plus ; l'herboriste me dit qu'elle n'a que celui qu'elle a commandé... et en bulbe, qui plus est. »

― Mademoiselle Asilwen, fis-je en souriant, ravie de te voir !

Je me saisis d'une fiole d'huile de rose musquée avant de poursuivre.

« Hélas, je n'ai pas reçu de stock de ce venin... Je cultive moi même un bulbe mais... »

Je marquai une pause, réfléchissant.

« Il me semble, repris-je en posant la fiole sur mon bureau, qu'il m'en reste un peu de la dernière récolte. Pas grand chose, juste quelques fioles, mais ce sera déjà bien. »

Je fouillai dans un des tiroirs de l'armoire du fond, et trouvai une petit boîte en bois cerclée de fer.

« Et voici, déclarai-je en tendant la boîte à Maya. C'est tout ce que j'ai. J'espère que ça te suffira ! »

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Je m'avançai dans la pièce et pris la boîte qu'Alwena me tendait. Elle était petite et en bois, son couvercle ouvragé avec simplicité.

― Merci, fis-je en inclinant la tête. J'irai tout de même voir Bobby, au cas où il saurait ce qu'est arrivé à ma commande...

J'imaginais que c'était les aléas de la rentrée.

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Il y avait quelque chose qui fascinait le regard chez la professeur de potions ― elle était belle, certes, d'une beauté sombre et ténébreuse, mais... l'infirmière, Mlle Butterfly, l'était elle aussi, avec ses yeux clairs, ses cheveux de flammes bouclés, ses traits fin, son nez légèrement retroussé...

C'était autre chose.

Peut-être sa manière de se vêtir ― atypique. Elle avait même un anneau à l'arcade, relié par une chaîne à une barrette cachée dans ses cheveux d'encre ― ou était-ce carrément une mèche tressé, ornée de perles ?

Elle pénétra dans la pièce pour s'emparer de la boîte que lui tendait Mlle Butterfly. Des fioles de venin de fleurs-de-sang. Le nom faisait frémir ― et enflammait mon esprit créatif : j'imaginais que, doté de propriétés détonantes, ce venin était capable restaurer force et santé, de paralyser le corps, de le métamorphoser, de briser charmes et sortilèges ― je m'emportais, donnais à ce venin un goût de liberté ! En même temps, c'était si aisé, si agréable d'en rêver... j'avais besoin de rêver. De rêver qu'un élixir pourrait me défaire de mon don d'obéissance, tout arranger. Que ce pourrait être aussi facile.

― Une potion peut-elle agir comme un contre-sort ? finis-je par demander.

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Un sourire fleurit mes lèvres : ce n'était pas une question inhabituelle, mais elle manquait tragiquement de logique.

― Les maux de l'esprit se soignent par la parole ; les maux du corps, par la main, répondis-je. Un contre-poison est aussi inefficace pour remédier à un sortilège qu'un contre-sort pour remédier à potion.

Les traits de la jeune fille s'assombrirent un instant, comme l'ombre d'un faucon qui passe devant l'astre solaire et cache ses rayons une brève seconde.

« Vous me plaisez assez, poursuivis-je. Vous êtes curieuse, et c'est une bonne chose. J'espère vous revoir à mes cours de potions. »

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Trop beau pour être vrai.

Je m'étais préparée à recevoir une telle réponse, mais elle restait douloureuse à entendre ; aussi essayai-je alors de cacher la tristesse tintée d'amertume qui se s'empara soudainement de mon cœur.

― Merci, dis-je, ne sachant que répondre d'autre : je n'étais pas habituée à me faire louer pour ma curiosité... ou louer tout court ― ma belle-mère et mes belle-sœurs n'avaient jamais autres choses que des reproches à me faire ou des ordres à me donner. Et merci d'avoir répondu à ma question, ajoutai-je, sincère.

Je n'avais pas avancé dans ma quête mais au moins, je ne perdrais plus de temps en cherchant du côté des potions pour me défaire de mon don...

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― Au plaisir de la prochaine, répondis-je. N'hésitez pas à venir me voir si vous en avez d'autres.

En ayant terminé, je pris congé d'Alwena et sortis de l'infirmerie...

Durant cet entretient, j'eus tout le loisir de fermer le tiroir, et de me préparer à utiliser l'huile de rose musquée.

Le courant passait tout naturellement entre la jeune fille et Maya. Elle se montrait curieuse, posait des questions auxquelles la professeur répondait.

Quand cette dernière fut partie, l'expression du visage de la demoiselle était mitigée. Je ne posais néanmoins pas de question, me contentant de faire mon travail. je versai une goutte d'huile sur mon index avant de masser la pommette en porcelaine de la jeune fille, à l'endroit où se trouvait la plaie désinfectée. Je recommençai la même procédure pour les autres écorchures.

― Et voilà, m'exclamai-je en rebouchant le flacon. Il ne vous reste plus qu'à aller vous changer et vous nettoyer avant d'aller visiter le château !

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N'hésitez pas à venir me voir si vous en avez d'autres.

Un ordre ― je ne pouvais plus hésiter à la voir si j'avais d'autres questions. J'espérai de tout mon cœur que je n'en aurais pas car je ne pourrais m'empêcher d'aller les lui poser.

L'infirmière s'approcha avec un nouveau flacon. L'huile de rose musquée. Elle m'en passa sur toutes mes plaies et mes écorchures, et je fermai les yeux, attendant qu'elle finît. C'était étrangement apaisant... je n'avais pas l'habitude de me faire dorloter, et c'était agréable.

― Et voilà, s'exclama Mlle Butterfly après un moment.

Je rouvris les yeux et la vis qui rebouchait le flacon.

« Il ne vous reste plus qu'à aller vous changer et vous nettoyer avant d'aller visiter le château ! » ajouta-t-elle.

― Merci, fis-je.

Je me relevai.

« C'est que je vais faire. »

Et après une légère révérence, je quittai l'infirmerie.

La jeune fille prit soin de refermer doucement la porte derrière elle, me laissant seule.

C'était la première fois qu'un élève venait si tôt se faire soigner ― et il faut dire que les raisons de ses blessures n'étaient pas vraiment cohérentes. Grimper sur un arbre le jour de la rentrée pour approcher un écureuil n'était pas un comportement habituel ni normal...

Ah, les jeunes, aujourd'hui...

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